Un léger brouillard. Une côte sauvage, normande peut-être, ciselée par les flots et la lumière perlée de l’aurore ou d’un crépuscule naissant. Ce rose qui s’alanguit comme une provocation muette, un doigt levé sans haine, à peine le soupçon d’un dédain enamouré.
Et la silhouette fantomatique de l’errant solitaire, stoppé là par une stupeur aux origines inconnues, contemplation béate de ce bout de terre oublié, conscience native ou pensée fugitive, prisonnier choyé d’un titre abracadabrantesque et d’un nom de groupe qui n’en est plus un.


Saisie de l’instant, d’un instant parmi tant.


Ornement d’un concept souverain, d’un concept guide et carcan. Newcombe a l’expérience et le goût, la confiance et le temps. Mais rien n’est plus abject que ce concept contraint, cette prison compositrice.
Alors les premières notes déroutent. Elles s’envolent aussi vite qu’elles caressent les synapses, frôlent les sens, fugitifs attouchements. Elles tripotent hardiment le promeneur égaré, lui promettent monts et merveilles, sont vite reprises, rattrapées par la pellicule qui ne les porte pas encore, ne les portera jamais, bande originale captive de son existence même.


Oniriques, tendres, souvent cruelles et fragiles, naissent enfin les images infinies de l’inconscient.
Qu’elles épanouissent soudain ces mornes falaises. Que fleurissent ces contrées. Que s’élève l’œuvre au philtre de cette révélation. Que s’achève l’inachevable, que se fasse un sens particulier.


C’est une fusion spirituelle plus qu’une (r)évolution créative. Anton Newcombe n’écrit jamais que pour Anton Newcombe, qu’importe le registre ne subsiste qu’un jusqu’auboutisme acharné. Ici un violoncelle délicat, là le grognement ravalé d’une guitare saturée, l’appui bienvenu du clavecin bien-aimé, la mélopée soutenue de la flûte, un theremin tapageur. L’artiste habite la plus petite alcôve de ce disque majoritairement instrumental, absolument autobiographique.


Musique de film imaginé est le dessin d’un homme en musique, quelques touches à nouveau offertes de la foutraque personnalité d’un Newcombe jamais fatigué, quelques esquisses d’un artiste rare, non par sa virtuosité ni par son talent – si grands soient-ils au demeurant – mais par sa capacité à livrer son être sur partition, à composer ce qu’il ne dit pas, ce que les mots saliraient.


D’aucuns appellent à grands cris le film qui accompagnerait cette bande. Prions pour qu’il ne voit jamais le jour. Car ces images appartiennent à chacun, ne sont pas Une mais multiples, imaginées.

-IgoR-
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le 10 mai 2015

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-IgoR-

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