Au sujet de ce disque, j'ai failli commencer par dire que c'était un non-disque. Pas au sens où c'est un mauvais disque (non, ça c'est Téo & Téa), mais parce qu'il n'existe pour ainsi pas. Ou plus. En tout cas, il est introuvable sur le marché, neuf ou d'occasion, sous quelque forme que ce soit, depuis 1983.
Musique pour supermarché est en effet l'une des autres histoires singulières dans le parcours artistique de Jean-Michel Jarre. En 1983, à la demande d'un collectif d'artistes réalisant une exposition sur le thème des supermarchés, Jarre accepte de composer une bande sonore d'accompagnement. Et a l'idée, de surcroît, d'en faire un manifeste : inquiet à l'idée de voir les disques de plus en plus vendus ailleurs que chez les disquaires, et notamment dans les grandes surfaces où ils se réduisent à des produits de consommation comme les autres, le compositeur décide de faire de cet album une œuvre unique, qui ne sera jamais diffusé au milieu des couches-culottes et des barils de lessive.


La suite est assez connue. Le seul exemplaire de Musique pour supermarché pressé en vinyle est vendu aux enchères à Drouot, pour la belle somme à l'époque de 69 000 francs, et la matrice est ensuite détruite en public.
Néanmoins, le soir même, l'album est diffusé une fois, en entier, sur RTL. Présent à l'antenne, Jarre lance : "Piratez-moi !", incitant les auditeurs à enregistrer l'album chez eux, avec les moyens du bord. Ce qui explique qu'aujourd'hui, les traces de ce disque sont innombrables, et qu'il est très facile de l'écouter. Dans une qualité épouvantable, certes, puisqu'il a été enregistré directement depuis une source radio, mais audible.


Voilà pour la petite histoire.
Et l'album, alors ? Et la musique ? Ça vaut quoi ?
Bon, déjà, JMJ est un petit filou. De ce disque condamné, il n'hésite pas à exploiter la meilleure matière première. Et l'on retrouve donc la partie 3 dans "Cinquième Rendez-Vous" (la troisième partie du morceau), à la note près ; la partie 5 devient "Blah Blah Café" dans Zoolook, toujours à la note près ; et, toujours dans Zoolook, la partie 7 se réincarne en deuxième moitié du titre "Diva", où il s'agrémente des vocalises étranges de Laurie Anderson.


Très bien. Et le reste ?
Hormis l'ouverture, morceau d'électro rock punchy qui claque bien, le reste se noie le plus souvent dans des effets sonores (ambiances de supermarché, évidemment) que la qualité sonore du bootleg rend grumeleux au possible, s'étire dans ce qui ressemble à des improvisations sans âme (partie 6) ou se perd dans des mélodies sans intérêt (la partie 4 et son lead de guitare hawaïenne, aux faux airs de "Chants Magnétiques V" ratés).


Ce qui revient à dire que, l'un dans l'autre, ce n'est pas plus mal que cet album soit devenu cet objet de curiosité, cette rareté facilement trouvable. Même si on peut imaginer qu'il aurait été tout autre, davantage travaillé, s'il avait été destiné à être publié comme n'importe quel disque. Mais le projet aurait été très différent.
Quoi qu'il en soit, Musique pour supermarché reste bizarrement une étape à connaître dans la discographie de Jean-Michel Jarre. Une bizarrerie, oui, mais riche d'enseignements.

ElliottSyndrome
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le 17 févr. 2020

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