1991 est une année charnière pour Yo La Tengo. Chacun de leurs disques précédents définissait, petit à petit, leur style. Leur attirance pour le rock noisy du Velvet Underground, leur amour pour le folk des anciens et leur affinité avec une pop volontiers aérienne. Il leur manquait néanmoins une assise rythmique stable et complète pour prendre définitivement leur envol. Puisque le taux de turn-over qu’ils ont essuyé à leur poste de bassiste avait de quoi donner des sueurs froides à un DRH ! C’est à croire que chaque musicien était obligé de tenir la chandelle du couple Kaplan/Hubley pour qu’ils soient aussi peu fidèles envers eux. Mais cela ne nous regarde pas !


Cependant, la bonne fée du destin se penche sur les deux tourtereaux en mettant sur leur chemin James McNew. Ce manieur de la 4 cordes étant à peine à ses débuts en solo, le hasard lui fera rencontrer le noyau dur de Yo La Tengo durant une tournée. Un hasard faisant bien les choses car May I Sing With Me, en plus de paraitre rapidement, est l’aboutissement de tous les précédents albums. Tout est meilleur qu’avant : la production, l’interprétation et les compositions.


« Detouring America With Horns » débute pourtant cette œuvre comme une continuité de Fakebook, leur disque de reprises folk. C’est une musique pastorale et instrumentale. Jusqu’à ce qu’elle prenne progressivement une tangente légèrement noisy dans ses dernières minutes tandis que la douce voix de Georgia flotte par-dessus ce magma sonore.
« Upside-Down » et « Mushroom Cloud of Hiss » confirment la bonne forme du combo. Le premier pour la qualité du songwriting. Parce que derrière ce rock crade, les chansons sont là. Elles sont belles (grâce à la voix de Georgia) et se retiennent. Le second, pour cette audace bruyante qui en fait une alternative à Sonic Youth. Ce champignon doit être vénéneux pour générer une musique à ce point abrasive ! La basse est très puissante et mise en avant. Kaplan se déchire les cordes vocales et les guitares dérapent dans l’abstraction noisy pour nous hypnotiser. Si la version longue de « The Evil That Men Do » sur President Yo La Tengo était impressionnante, celle-ci l’éclipse aisément tant il s’agit d’un sommet du noise rock.


Rien que ces neuf minutes confirment qu’ils ne sont plus des débutants. Cette fois-ci, ils sont bel et bien lancés dans la course vers la couronne du rock indépendant Américain. La suite contient également son lot de beaux moments. Ces harmonies de guitares sur « Five-Cornered Drone » très évocatrices des routes sans fin qu’on trouve par centaine aux USA. « Satellite » au génial talent mélodique. Le groupe se permet même de s’approprier le post-rock (à ses débuts au même moment) sur « Sleeping Pill ». Dix minutes préfigurant, presque, les bases de formations telles que Macha ou Tortoise. Impossible de ne pas être étonné par la qualité et la prescience de cette piste.


May I Sing With Me a tout du solide point de départ pour cette bande rodée au circuit de l’underground. Le niveau général est très bon, puisque même les titres mineurs ou les plus lents sont de bonne facture. A ce sujet, « Some Kinda Fatigue » porte mal son nom tant il s’agit d’un rock plutôt nerveux.
La basse de James McNew est d’une belle rondeur. Apportant son soutien sans concession et dynamisant des morceaux à la qualité plus évidente qu’auparavant. A bien y réfléchir, cet instrument n’a jamais été aussi audible. Difficile d’affirmer si c’est dû à la production de Gene Holder ou à la motivation de McNew, mais le résultat est là : on sent un groove donnant un relief supplémentaire aux chansons.


Yo La Tengo n’est toutefois qu’aux prémices de son âge d’or. Car le trio qui nous enchantera durant une vingtaine d’années vient tout juste d’être formé. Ce n’est donc pas le début de la fin, mais bel et bien la fin du début.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 26 oct. 2017

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