Love Cry
8.2
Love Cry

Album de Albert Ayler (1968)

Love Cry a été enregistré lors d’une séance de studio le 31/08/67 à New York. Il se situe chronologiquement entre "In Greenwich Village" et "New Grass", c’est donc le second album pour le label Impulse de Bob Thiele. Il est d’emblée remarquable par la restitution sonore de meilleure qualité que les enregistrements antérieurs effectués chez ESP.
Au niveau artistique, le virage qui mènera à New Grass est déjà entamé, particulièrement sur la face un. Les morceaux sont plus courts et la part belle est donc faite aux thèmes. Les mélodies chez Albert Ayler sont simples et même parfois naïves, ce qui les rend festives, joyeuses, tristes ou même parfois poignantes. L’improvisation, elle, est pleine de feux, d’éclats, de fulgurances jusque dans la fièvre et la démesure.
Mais la surprise ici c’est la section rythmique. Le jeu d’Alan Silva se marie avec merveille avec celui d’Albert, la basse entretient avec le saxophone un dialogue riche et subtil, en échappant avec malice au rôle de métronome que trop souvent on lui attribue. Les cordes sont frottées, frappées ou pincées, vibrantes sous la main experte, elles de font pleurantes et grinçantes quant elles sont caressées par le frottement de l’archet. Milford Graves est au meilleur de sa forme et s’intègre parfaitement au jeu du quintet, sans cesse innovant, créant, à l’affut d’un espace dans le thème, d’un creux où il pourra se glisser, de l’âtre d’où il pourra attiser la braise. La section rythmique est ici pure folie créatrice et constitue l’un des attraits principaux de l’album.


Alors, bien sûr il y a, sur la face un, les deux relectures de Ghosts et de Bells, deux hymnes phares dans l’univers du trublion du jazz, ces deux thèmes qui se transforment en orgie sonore lors des manifestations publiques du grand prêtre du free, en offrande expiatoire, après avoir été triturés, façonnés et même déstructurés pour être offerts à l’audience par le Grand Freejazzator ! C’est Don Ayler qui expose le thème de Ghost, rejoint et doublé par son frère qui impose un lyrisme fou sur une rythmique qui commente de façon libre et improvisée cette marche stridente. Bells subit un traitement identique, hypertrophie du thème accompagné par une rythmique qui décrit et commente. Cette relecture est tout à fait inhabituelle, tant cet aspect compact donne un fort impact aux mélodies. Une autre façon d’aborder Ayler, sans aucun doute. Sur Omega, Dancing Flowers et le superbe Love Flower apparaît de façon un peu anachronique le clavecin de Call Cobs, apportant une couleur inattendue à la musique, on connaît le goût d’Albert pour ces surprises là… Peut-être un désir de donner une couleur psychédélique à la musique. C’est paradoxalement sur le morceau où on l’entend le plus que ça passe le mieux, Love Flower est magnifié par ce nouvel apport, je n’en dirai pas forcément de même pour les autres titres, c’est affaire de goût.


La seconde face est magnifique, deux superbes compositions, Zion Hill et Universal Indians la composent. Albert Ayler prend toute sa mesure sur Zion Hill où il s’exprime dans la durée avec la puissance et le volume qu’on lui connaît, tandis que la rythmique évoque un espace mouvant et fuyant qui semble se dérober sous nos pieds… Le clavecin emplit lui aussi l’espace, mais j’imagine le toucher et la subtilité d’un Sun Ra au lieu et place de Call Cobbs !
Universal Indians et sa musique martiale sera le dernier témoignage de Don Ayler sur Impulse, en effet il ne jouera plus jamais en compagnie de son frère qui sera bientôt interné dans un Hôpital Psychiatrique. Il nous livre là ses dernières notes de musique enregistrées en compagnie du quintet et c’est magique, du grand free dans la tradition d’Albert, un long cri…d’amour !
Albert sera à jamais intimement touché par le malheur qui touche son frère, il en éprouvera un fort sentiment de culpabilité qui sera avivé par les reproches que lui fera jusqu’au bout sa propre mère.


A nouveau un disque qui peut servir d’introduction pour qui cherche à découvrir le grand Albert, du très bon à ne surtout pas sous estimer.

xeres
8
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le 9 mars 2016

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