"project by jarre for vip room"
Tel est le sous-titre de Geometry of Love, le premier disque de Jean-Michel Jarre à paraître chez Warner, son nouveau label. C'est important, un sous-titre. Ça révèle beaucoup de choses sur l’œuvre.

Les années 2000, pour Jarre, c'est d'abord les années people. Exit le couple discret formé avec Charlotte Rampling, voilà l'artiste bien occupé à faire la une des magazines poubelles. Inévitable, quand on sort avec Isabelle Adjani.
Ce sont aussi les années de grands spectacles sans âme, où le musicien finit par se caricaturer à force de ne plus rien avoir à raconter de neuf. On le voit, au Danemark, jouer devant des éoliennes, souffler dans une flûte électronique, faire grincer un Theremin dont il ne sait pas jouer, s'associer à un duo de percussionnistes pour étirer sur vingt minutes un morceau inédit sans saveur aucune. Ou à Athènes, dans un superbe théâtre antique, ramer à produire un son propre et épuiser ses classiques dans des réorchestrations fadasses.

Au milieu de toutes ces réjouissances survient donc Geometry of Love, ensemble de huit compositions écrites pour l'habillage sonore d'une boîte parisienne à la mode, le V.I.P. Room, propriété d'un certain Jean Roch - grande figure, lui aussi, des torchons people. Par le fait, il s'agit donc d'une musique d'ambiance, tendance lounge, plutôt planante, qui s'appuie sur de longues séquences répétitives et des nappes éthérées, agitées de boîtes à rythme downtempo et parfois traversées de mélodies plus ou moins construites. Avec le piano à grosse reverb qui va bien, évidemment.

La production est soignée, on ne peut pas le nier. Dans l'ensemble, c'est du bon son. Dommage que la musique ne soit pas à la hauteur. "Velvet Road", rescapé du projet The Vizitors mené par Jarre au début de la décennie avec le DJ japonais Tetsuya "TK" Komuro, sort un peu du lot, de même que "Electric Flesh" et "Skin Paradox" qui le précèdent.
Le morceau-titre s'agite un peu vainement au rythme d'une litanie râlante, on se demande bien pourquoi Jarre a cru bon d'en mettre deux versions (pratiquement identiques) sur le disque, sinon pour l'allonger un peu. Deux occasions de souffrir, c'est pas très gentil.

Mais surtout, pire que tout, c'est dans cet album que se trouve sans doute le plus mauvais morceau jamais publié par le compositeur. "Near Djaina" - les plus observateurs auront noté qu'il s'agit d'un anagramme du nom de l'aimée d'alors, Dame Adjani - est une baverie lamentable au piano, le genre d'impro erratique que des doigts tordus de fatigue peuvent arracher d'un clavier en toute fin de soirée blindée d'alcool et autres substances illicites. En général, quand tu te réveilles le lendemain et que tu réécoutes ce que tu as enregistré la veille, persuadé d'avoir lâché de la bombe dans les circuits imprimés, tu déchantes très vite et tu t'empresses d'effacer la daube, rouge de honte et prêt à jurer qu'on ne t'y reprendra plus.
Jarre, non. Jarre, il garde, et en plus il publie.
"Téo & Téa", qui suivra trois ans plus tard, contient lui aussi quelques horreurs, mais aucune n'atteint le ratage complet de ce morceau honteux. En même temps, quand on sait que le monsieur plaquera quelques mois plus tard la dame censée avoir inspiré la croûte musicale, on mesure à sa juste valeur la soi-disant passion qui l'animait alors.
Bref.
People, je vous disais.

(Ah, et puisqu'on en est là, les heureux possesseurs de ce glorieux album ont aussi la chance de compter dans leur discothèque un portrait de l'entrejambe d'Isabelle Adjani. La pochette est pixelisée, oui, mais c'est bien l'intimité de La Grande Actrice Française.
La poésie et le bon goût à leur paroxysme.)

Re-bref.
Passons à autre chose.

ElliottSyndrome
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le 21 févr. 2020

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