Amateur de Michael Mann, j'attendais avec impatience cette adaptation d'un livre culte, dont j'avais entendu parler sans jamais l'avoir lu. Les premiers épisodes (dont le pilote en particulier, qui a été réalisé par Mann) m'ont vraiment emballé, j'ai été aspiré comme ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Il y a là un très bon casting (avec des acteurs occidentaux qui font un vrai effort sur le japonais, fait suffisamment rare pour constituer en soi une attraction), une bonne réal (la direction artistique et les décors sont particulièrement soignés),et une bande-son assez remarquable (un mélange de tradi/moderne joliment aligné sur le thème des Yakuza). Le degré de réalisme, dans un premier temps, fait honneur aux attentes. Malheureusement, la qualité de la série baisse inexorablement et régulièrement, au fur et à mesure qu'on avance : dès la fin de l'épisode trois, il y a une première chute de niveau. Aux alentours de l'épisode six, à nouveau, jusqu'au dernier épisode de la saison 1 qui est franchement mauvais (et la saison 2, dans l'ensemble, baisse encore).
J'ai pris le temps de réfléchir aux raisons de ce que je considère comme un échec, par rapport aux ambitions affichées, car je trouve qu'elles sont parlantes, probablement des dérives de l'industrie du divertissement, mais surtout des ambigüités qui entourent les adaptations "libres", ou plus ou moins fidèles, de livres autobiographiques, en fictions. Ce qui pêche, à mon sens, réside précisément dans cette ambigüité entre réel et fiction, et surtout, dans les choix - c'est-à-dire, l'absence de choix - entre l'un ou l'autre genre qui auraient dû en découler.
Le problème commence avec la multiplication des points de vue : en plus de la trame de Jake Adelstein - du nom réel du journaliste auteur du livre - jeune journaliste américain débutant dans un journal japonais, on adopte également celui d'un flic japonais engagé dans une lutte solitaire contre les Yakuzas, ainsi que celui d'un jeune Yakuza en pleine ascension, et enfin, celui de Samantha, autre occidentale, travaillant dans des bars à hôtesse. Il y a déjà là une forme de travestissement du matériau originel : pour y rester fidèle, et conserver la forme d'excitation particulière que peut générer ce genre, il aurait fallu conserver un seul et même point de vue, celui d'Adelstein. Certes, la difficulté pour maintenir le spectateur en haleine aurait été grande, mais en y renonçant, les créateurs ont perdu ce qui faisait tout le sel de l'oeuvre originale, foncièrement subjective. Typiquement, à partir du moment où on voit les yakuzas de l'intérieur, avec le personnage de Sato, on perd tout le mystère, et donc, la fascination qu'il y avait au départ, quand on les voit de l'extérieur. D'autre part, les autres points de vue - en particulier celui du flic, même si celui du Yakuza, Sato, est encore celui qui est le mieux documenté après celui d'Adelstein - bénéficient d'une profondeur beaucoup moins approfondie - erreur qui n'est que le prolongement de la première.
En fait, en choisissant, probablement pour mieux épouser le format sériel, de fictionnaliser le propos, cette version de Tokyo Vice se retrouve avec le cul entre deux chaises - entre réalité et fiction - avec deux directions différentes en compétition pour la direction de l'intrigue : moitié documentaire, moitié polar classique. Le résultat, c'est une impression de dissonance et d'hésitation, qui brise la pourtant belle suspension d'incrédulité qui accompagne les débuts. Le réel, par essence absurde, chaotique, désordonné, jure terriblement avec la fiction, organisée, codifiée, hiérarchisée, d'autant plus lorsqu'ils sont placés côte à côte.
Cela aurait pu être une bonne série réaliste, quasi-documentaire (en adoptant un seul point de vue, en faisant trois ou quatre fois plus court, voire même en en faisant un film, comme c'était le projet de départ), ou une bonne fiction (en abandonnant complètement le personnage d'Adlestein pour en créer de nouveaux, même inspirés). Au final, c'est dans l'ensemble médiocre. Dommage, on n'est pas passés loin du jackpot.