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Cheveux au vent, gun à la main, c’est l’histoire de deux gamins (James et Alyssa) qui roulent à toute berzingue vers un horizon sans fin. The End of the F**king World est un road movie adolescent, proche du pastiche, mais qui dévoile une toile de fond sombre et mélancolique à couper le souffle.


Alors que l’année 2017 nous avait fortement affublé de personnages adolescents hauts en couleur, Netflix sort l’artillerie lourde en ce début d’année 2018 avec cette adaptation du roman graphique homonyme de Charles Forsman. Même si le visuel se fait différent, que le travail sur le cadre semble plus affiné ou plus scolaire, que l’humour déteint vers une ironie noire machiavélique, la série semble être un diminutif réjouissant de The Doom Generation de Gregg Araki, de Paranoid Park de Gus Van Sant, voire même Moonrise Kingdom de Wes Anderson. La série n’a pas la même force thématique mais l’idée y est : suivre le chemin de jeunes baroudeurs qui quittent le foyer familial car rien ne les attend à la maison mis à part un père inintéressant, terrassé par la perte de sa femme, ou une mère apeurée par son mari plein aux as.


Courte dans son format, 8 épisodes de 20 minutes, The End of the F**king World brille avant tout par le charisme de ces deux compères de route, la symbiose complémentaire physique et « psychopathique » de deux lycéens égoïstes, autodestructeurs qui s’enfuient de chez eux et se lancent dans road trip salvateur vers la liberté. Lui pense être un psychopathe, ne ressentant jamais rien pour la sphère des êtres humains. Elle, antisociale, est une emmerdeuse de première. Au fond de lui, il veut la tuer. Au fond d’elle, elle veut l’aimer. Intrigant, le postulat de départ amène la série dans un univers aussi convenu qu’anxiogène.


Même si certains clichés inhérents au genre s’ajoutent à la caractérisation des personnages (tuer des animaux etc…), The End of the F**king World aurait pu être une énième série sur le mal être adolescent, cette démonstration spleenesque sur le passage à l’âge adulte, un rite initiatique vagabond sur le soi-même, mais le résultat se veut plus racé, plus transversal que cela, tout en étant beaucoup plus triste dans son propos.


Jamais le récit ne tombera dans les joules du pathos et c’est ce qui fait tout son charme : ce visage détaché, goguenard de ces deux malfrats qui ne semblent pas encore voir l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de leur tête. La puissance drolatique de ses saynètes, cette mosaïque d’instants tenaces où la violence visuelle est latente, cet humour de situation (les deux policières), cette répartie forcenée dans les échanges verbaux, cette tristesse inconsciente font la force d’un récit parfois bancal, semblant tourner un peu à vide. Mais c’est cohérent avec l’entreprise menée par la série : il n’y a nulle part où aller, aucun échappatoire, l’autoroute vers la liberté prendra fin quoi qu’il arrive.


Cette série, c’est comme si Sufjan Stevens et Converge avaient inventé une série : un côté pop acidulé et mélancolique ajouté aux sonorités punk et chaotiques d’un vent de liberté assoiffé. Dans un environnement où le monde adulte est lui aussi en plein désarroi, qui jongle entre vie de ménagère ou de piliers de bar, leur trip les amènera à rencontrer violeur, pédophile ou parents à jeter aux ordures. Les « road movies » qui prennent des allures de romance vers la fuite, font partie de l’histoire du cinéma : True Romance ou Sailor and Lula. Mais cette fois-ci, l’œuvre dévoile la représentation du reflet de l’adolescence, de cette jeunesse qui veut vivre et respirer par le biais de l’isolement et non pas par le prisme de la surconnexion à un monde numérique.


Cette jeunesse incomprise, mais qui a fait de l’abandon, une part entière de sa vie. On pourrait penser qu’il est incohérent de voir se juxtaposer une violence sanguinaire dans les paumes juvéniles de lycéens. Mais non. Au fil de la série, l’attachement pour nos deux acolytes se fait sincère, compréhensif, car l’un et l’autre étaient à la recherche d’un totem, de quelque chose qui bouche le trou béant qu’est leur vie sentimentale. Sur les lagunes d’une plage ensablée, vers une course funambule vers le néant, la série raconte la fin d’un monde. Mais c’est à de se demander si le monde a déjà existé.


Article original sur Cineseries Mag

Velvetman
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le 20 janv. 2018

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