Texhnolyze
7.6
Texhnolyze

Anime (mangas) Fuji TV (2003)

Connaissez-vous Serial Experiments Lain ?

Sardoniquement introduite par un rire enregistré, cette série de 1998 animée par le studio de Triangle Staff nous propose lors de ses treize épisodes de suivre la descente de Lain Iwakura, adolescente de quatorze ans peu à l’aise avec l’informatique, de plus en plus profondément dans les abysses du Wired, sorte d’internet cyberpunk prenant tour-à-tour des allures de réseau social, de base de données ou de jeu vidéo.

Systématiquement décrite comme une série d’avant-garde profondément étrange et provocante, Lain allie le fond de son propos philosophique et futuriste à la forme de sa réalisation, notamment grâce à un Sound design claustrophobique, une utilisation maitrisée des codes de l’horreur et une savante déstructuration du récit, le tout réhaussé par une grande inventivité visuelle. Une œuvre que je n’ai pas de mal à qualifier de réussite totale et dont les nombreux débats sur les thèmes abordés par la série entretiennent sa place de référence underground de l’animation japonaise.

Une réussite qui tient en partie au talent de l’équipe réunie à cette occasion : le producteur Yasuyuki Ueda, qui sera plus tard connu pour son futur travail notamment autour des séries Hellsing et Hellsing Ultimate, découvre par l’intermédiaire d’un blog les dessins d’un jeune tagueur récemment reconverti dans le dessin du nom de Yoshitoshi Abe. Il lui propose alors de rejoindre l’équipe travaillant sur le projet des multiples supports de Lain (jeu vidéo, série animée ainsi que manga) afin d’en être le Character Designer, chargé de dessiner et de détailler les différents personnages de la série, rejoignant alors entre autres les non moins talentueux réalisateur Ryuutarou Nakamura (connu également pour son travail de réalisateur sur l’Odyssée de Kino) et le scénariste Chiaki J. Konaka (RaXephon, Hellsing, Mononoke…).

Si le projet est décrit par le producteur lui-même comme extrêmement risqué, la série réussit à séduire un public de niche et obtient un prix d’excellence à l’édition de 1998 du Japan Media Arts Festival.

C’est cette même équipe qui se retrouve chez le studio MADHOUSE en 2003 pour travailler sur un nouvel anime original, à l’exception du réalisateur Nakamura, parti travailler sur l’Odyssée de Kino pendant la même période. A sa place rejoint Hiroshi Hamasaki, animateur d’expérience ayant travaillé en tant qu’animateur clef sur de nombreux projets tels que Macross : Do You Remember Love, Ninja Scroll, Perfect Blue ou encore sur le Metropolis de Rintaro pour ne citer que les plus prestigieux. TEXHNOLYZE est son premier projet en tant que réalisateur et sera l’occasion pour lui d’expérimenter plus en détail son style de storyboarding et de découpage de l’action.

Création originale du studio MADHOUSE, TEXHNOLYZE prend place dans la cité souterraine de Lux (ou Lukuss selon les traductions), spécialisée dans l’extraction de Raffia, une substance spéciale indispensable à la technologie du Texhnolyze, c’est-à-dire de prothèses artificielles venant remplacer les membres du corps. C’est au travers d’un premier épisode quasiment sans dialogue que nous sommes introduits à notre premier protagoniste, Ichise, boxeur orphelin, aux prises avec la compagne de son promoteur avant que la caméra ne nous entraine dans ce qui apparait être une descente dans un dédale industriel désaffecté. Ce premier épisode à l’atmosphère noire et oppressante permet de prendre la mesure de la suite de la série : la narration y sera minimaliste, les personnages peu expressifs, la patte de couleur terne et le ton résolument noir.

On apprendra assez rapidement que la ville de Lux est aux prises entre différentes factions, l’Organo, sorte de mafia gouvernant les affaires de la cité au service de la Classe, l’Union, syndicat religieux rejetant fondamentalement l’utilisation du Texhnolyze et le Rakan, ensemble de bandes organisées rassemblées derrière leur leader erratique. Au milieu de ce tableau évoluent plus ou moins librement les personnages d’Ichise, de Ran, une jeune fille énigmatique au masque de renard et de Yoshii, un explorateur venu de l’extérieur.

TEXHNOLYZE est souvent décrite comme une série assez lente, affirmation qui selon moi tient avant tout à l’absence de fil narratif clair dans la première partie de la série. La série ne manque pourtant pas d’action mais il faut pouvoir traverser cette période de décollage lors de laquelle les éléments sont jetés en pâture au spectateur sans que ce dernier ne puisse les inscrire dans une trame narrative plus globale. Cette relative lenteur des premiers épisodes participe néanmoins à la mise en place d’une atmosphère mélancolique superbement mise en valeur par la bande originale, alors que nous observons Ichise déambuler dans les rues de Lux.

TEXHNOLYZE est, au même titre que Serial Experiments Lain, une réflexion sur la façon dont la technologie modifie nos paradigmes et nos façons d’appréhender la réalité, et une conjecture sur le mode d’évolution de l’être humain en tant qu’espèce au contact de la technologie. Néanmoins c’est loin d’être la seule interprétation du récit que l’on peut faire ; on peut également l’interpréter comme une allégorie platonicienne, une réflexion sur le nihilisme nietzschéen, une tragédie théologique…Ce ne sont guerre les thèmes abordés qui manquent et chacun pourra y retrouver une interprétation pertinente pour peu qu’il en goute toute l’atmosphère viciée et ses personnages au code moral grisâtre.

Techniquement, la série est de très bonne facture. La réalisation d’Hamasaki délivre son quota de plans subtilement composés, de cadres déstructurés et de points de vue originaux pour garder le spectateur en haleine et se fend même de quelques références prestigieuses :

Le monde de la surface est très largement inspiré des tableaux d’Edward Hopper, aussi bien que pour la direction artistique générale que pour certains plans qui émulent directement les compositions du peintre américain.

TEXHNOLYZE est une relique d’une époque quelque peu révolue, celle ou des studios comme MADHOUSE pouvaient prendre le risque de créer leurs propres franchises en laissant une liberté artistique importante à leurs artistes. En résultait des œuvres peu communes, artistiquement affirmées dont certaines ont marqué durablement le panthéon de l’animation. Et s’il existe fort heureusement toujours des productions ambitieuses non commercialement calibrées (Sonny Boy ou Revue Starlight pour n’en citer que quelques récentes), force est de constater que l’explosion du nombre de productions d’animation japonaise ne s’est pas forcément traduite par un boom dans le nombre de productions originales.

Azertherion
9
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Créée

le 7 nov. 2022

Critique lue 41 fois

Azertherion

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