Reservation Dogs
7.1
Reservation Dogs

Série Disney+ (2021)

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https://seriephiledudimanche.jimdofree.com/2023/11/13/reservation-dogs-saisons-1-et-2/

Les oubliés de l’Amérique


Depuis le temps que la production télévisuelle américaine se démène pour nous faire découvrir son vaste territoire à travers la diversité des communautés qui la composent, il était étonnant qu’aucune d’elles n’ait jusque-là fait honneur au peuple amérindien. « Reservation dogs » dont le titre est inspiré du fameux film de Tarantino, met fin à cette injustice en situant son récit en Oklahoma, au cœur d’une des trois cent réserves que compte le pays. De fait, ce qui frappe en premier lieu, c’est l’état de désuétude à laquelle est réduite sa population. « Les résidents de ces enclaves font figure de membres du quart monde si l'on compare leurs revenus, leur espérance de vie, leur niveau d'éducation aux moyennes nationales¹ » et cela se ressent. Les logements paraissent rudimentaires ; les jardins de ces humbles demeures, en déshérence. Et si les adultes subviennent aux besoin de leurs enfants en exerçant des métiers chichement rémunérés, on sent le désœuvrement d’une jeunesse qui rêve d’un ailleurs aguicheur. C’est dans cet environnement à l’écart du développement économique des États-Unis que vivent Bear, Elora, Willie et Cheese, des adolescents qui accumulent les larcins. Leur but ? Amasser suffisamment d’argent pour prendre la route, direction L.A. comme le souhaitait Daniel, leur ancien ami qui a mis fin à ses jours quelques mois auparavant.


Quatre jeunes qui se cherchent un avenir


Avec un tel préambule, on aurait pu s’attendre à baigner dans une atmosphère franchement morose. Il n’en est rien. Tout d’abord parce que ses jeunes héros possèdent une fraîcheur bienvenue. Non pas qu’ils dégagent une joie de vivre communicative. Leur spleen irradie l’écran. Mais ils sont foncièrement gentils et attachants. Qu’il s’agisse de Bear et de sa douceur naturelle, de la déterminée Elora, de la taciturne Willie ou du placide Cheese, chacun d’eux possède une identité propre dont on sent qu’elles ont été soigneusement travaillées. Il faut dire que Sterlin Harjo et Taika Waititi, les auteurs, en tant que membres de communautés ethniques minoritaires (amérindien pour l’un, maori pour l’autre) possèdent les outils propices à mettre en scène des personnalités crédibles dans ce genre de contexte. Et il se trouve en effet que l’intérêt de la série repose en grande partie sur les frêles épaules de ces quatre jeunes en quête d’avenir. Un pari osé quand on sait que la trame narrative est essentiellement constituée de tranches de vies potentiellement ennuyeuses. Elora passe son permis de conduire ; Willie part à la chasse avec son père. Cela paraît maigre. Pourtant, en nous narrant des scènes banales du quotidien, on part à la rencontre de ces hommes et femmes en devenir. On apprend à les connaître, à appréhender leurs forces et leurs faiblesses. On les voit espérer, se tromper, hésiter… Et on les aime pour ce qu’ils sont car le regard qui est porté sur eux est empli d’une immense tendresse.


L’humour, une arme contre la grisaille


Par ailleurs, si on enchaîne les épisodes avec gourmandise, c’est que ceux-ci sont teintés d’une fantaisie décalée qui rend l’existence de ces laissés-pour-compte extraordinaire. C’est ainsi que la séance de conduite précédemment citée prend une tournure des plus improbables. In fine, bon nombre des situations portées à l’écran, à priori banales, finissent par tutoyer l’absurde. Un absurde qui se situe autant du côté de l’onirisme que du burlesque. Ce parti-pris procure à « Reservation dogs » un ton unique et particulièrement plaisant. C’est ainsi que durant l’ensemble du récit, Bear voit surgir un Indien du 19ème siècle ayant assisté à la bataille de Little Bighorn. Un Indien dans la pure tradition de la représentation qu’en ont fait les westerns américains. Par son intermédiaire, Bear est amené à se pencher sur ses actes et à réfléchir sur la direction qu’il compte donner à sa vie. Mais en lieu et place des discours lénifiants que cet « esprit » pourrait offrir à son jeune protégé, celui-ci nous gratifie de diatribes et de postures hilarantes. Ainsi, de manière humoristique, les auteurs rendent un vibrant hommage à la culture amérindienne en imprégnant le récit de ses mythes et légendes dans un contexte foncièrement contemporain. Pourtant,derrière la légèreté de ces anachronismes, Harjo et Waititi nous dressent le portrait d’une communauté tiraillée entre les spécificités de son histoire et l’environnement moderne dans laquelle elle évolue.


Rien ne sert de pleurer


Il y aurait ainsi bien des raisons de s’apitoyer sur les conditions de vie de la plupart des protagonistes de cette histoire. Mais en dehors du fait que la série désamorce tout pathos en usant d’un ton plutôt cocasse, les habitants eux-mêmes semblent peu enclins à la lamentation stérile. Les femmes ont certes des petits boulots peu valorisants mais qu’importe ! Elle tentent de vivre pleinement leur vie de femmes et semblent être les seules à vraiment s’extraire de leur milieu pour se confronter à la vie active. Les hommes, eux, ont clairement plus de mal. Une réalité qui se vérifie malheureusement dans bon nombre d’enclaves où le chômage prédomine, ce qui les pousse à partir, quitte à laisser femme et enfants sur le carreau. Il y a bien l’officier Big, le garant de l’ordre, qui tente maladroitement de résoudre les méfaits perpétrés de-ci de-là dans la réserve. Pourtant, difficile de porter crédit à ses compétences professionnelles tant il est facile de se jouer de sa naïveté légendaire. Rien que pour cette qualité, les habitants l’aiment et le respectent. Quoi qu’il en soit, il règne, derrière les vieilles rancœurs propres à ceux qui se connaissent trop bien,une vraie solidarité. Réelle ou exagérée, cette peinture exubérante de ce microcosme fait chaud au cœur.Tout d’abord parce qu’elle transpire l’authenticité. Par ailleurs,elle donne surtout le sentiment que la vie est plus forte que tout. Elle porte à l’espoir et tend à prouver que c’est dans la difficulté que les Hommes sont les plus bienveillants les uns envers les autres. Dans « Reservation dogs », il n’y a qu’un malheur qui semble incapable d’être ignoré : celui causé par la mort d’un enfant. Celui-là répand son poison sur l’ensemble de la communauté et particulièrement sur ses anciens amis qui cherchent à vivre coûte que coûte malgré le deuil qui n’en finit pas de les accabler.


Une série vivifiante


De ce constat, il émane de « Reservation dogs » un certain désenchantement. Mais d’une série qui avait tout pour être grave, voire plombante, les auteurs sont parvenus à mettre en scène une œuvre d’une fraîcheur singulière sans pour autant édulcorer la réalité d’une population livrée à elle-même. De fait, on peut entendre que Bear, Elora, Willie et Cheese désirent s’extraire d’un environnement qui tend à réduire leur champ des possibles. Mais de notre côté, nous ne sommes pas pressés de les voir quitter la réserve tant le désir est grand de les retrouver lors d’une troisième saison dont on espère qu’elle gardera sa tonalité douce/amère. Heureusement pour nous, rien ne dit qu’ils parviennent facilement à leurs fins. Il n’est jamais simple de tirer un trait sur ce qui a contribué à nous façonner.


Disponible sur Disney+


1 : https://www.universalis.fr/.../amer.../8-situation-actuelle/

vosarno
8
Écrit par

Créée

le 14 nov. 2023

Critique lue 15 fois

vosarno

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