Queer Eye
7.2
Queer Eye

Émission TV Netflix (2018)

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Queer Eye est une série à la fois agaçante et enthousiasmante. Par son coté «lisse américain bubble gum», elle donne parfois envie de vomir ce monde qui pense qu’un nouvel achat changera l’Homme et le rendra heureux. D’un autre côté, se propage à travers les épisodes un déversement de belles émotions, qu’on se persuade être vraies, et une réelle envie d’aimer, d’aider son prochain, et de tenter de faire le bien dans ce monde, d’être un "meurtrier innocent", comme dirait Camus dans La Peste.


Alors, de quoi ça parle, au juste ? Cinq hommes (Bobby Berk, Karamo Brown, Tan France, Antoni Porowski, Jonathan Van Ness) sont « appelés » pour changer la vie d’un être malheureux, d’une personne élue qui a besoin du «queer eye» comme nouveau phare dans la nuit. En une semaine, ils vont l’aider à se sentir mieux, lui offrir (?) un nouveau chez soi entièrement rénové et une coupe de cheveux à la mode, jeter ses vêtements pour une acheter nouvelle garde-robe, lui apprendre à cuisiner un plat qui le ou la fait saliver, et lui redonner confiance en lui.elle.


Le casting fonctionne à merveille. Les Fab Five, comme ils s'appellent, ont tous une personnalité différente qu'ils mettent ou non en avant, d'une manière ou d'une autre, et possèdent l'atout de donner l'impression de bien s'entendre. Ils ont l'air sympathique, d'une manière générale, et c'est agréable de les voir interagir, rire et discuter ensemble.


Certains épisodes sont difficilement oubliables. Celui avec les sœurs Jones, deux afro-américaines d’un certain âge qui travaillent dur dans leur food-truck depuis des années, pour pouvoir payer les études de leur progéniture, parce qu’elles ont été éduquées avec l'idée qu'on n'a rien sans bosser. L'épisode de cinquante minutes consacré à ce bad-boy devenu tétraplégique suite à un échange de balles, qui lui a permis paradoxalement de changer sa manière de voir et de vivre. Ou encore celui où Jonathan Van Ness (par moment si agaçant mais on ne lui en veut pas) rend hommage et dit merci à sa professeure d’arts d’expression, en secondaire. Ces épisodes (et d'autres encore) transpirent d’humanité, d’échange et de joie partagées. C'est juste beau à voir.


Certains regards lancés à la caméra par les Fab Five trahissent néanmoins une certaine artificialité de l'ensemble. Les poses sont affectées, la mise en scène (d'eux-mêmes) permanente. Ils savent qu’ils sont filmés, la caméra est à côté d’eux, comme un personnage à part entière, incarnant le "queer eye". De cette philosophie de vie hideuse (je souris au monde parce que le monde me regarde, et non pas parce que j’ai envie de sourire) surgit soudain une (vraie ?) émotion, qui se révèle souvent chez les personnes "élues", à travers des yeux brillants, des gorges qui se serrent, des larmes qui coulent. Pas une émotion racoleuse, mais de celle qui vous donne envie de serrer dans ses bras ces gens qui ont besoin d’un boost dans leur vie, de confiance en eux, peut-être vraiment d’une équipe comme celle de Queer Eye pour redémarrer un nouveau chapitre de leur vie. Pour cela, on aimerait excuser le désir de plaire à tout prix que peuvent parfois étaler les cinq protagonistes.


Pourtant, une question que je me pose, c’est : "et après, que se passe-t-il ?" Car l’épisode se déguste comme une pastille rose bonbon à la menthe qui fond dans la bouche. Tout est beau et lumineux, dans le meilleur des mondes, les Fab Five ont fait leur boulot, sur une semaine. N’est-ce pas un peu court, pourtant, pour juger du bouleversement possible d’une humanité ? Une idée : quand iront-ils filmer les retrouvailles avec ceux qu’ils ont « sauvé », pour nous témoigner d’un changement de vie réel que leurs actions ont pu provoquer ?


Parce qu’après une semaine de relifting, de nouveaux produits accompagnant la vie quotidienne (habits, fournitures, maquillage), pourquoi la caméra ne filme-t-elle plus ? Une semaine, est-ce vraiment assez pour changer les habitudes d’une vie, la personnalité d’un homme/d’une femme? Ne faudrait-il pas axer davantage la série vers une recherche intérieure, en quête d’un bouleversement existentiel profond, que vers une posture lisse et belle, pour être bien vu en société, mais peut-être aussi vite instagrammable qu’oubliable ?


Le caractère excessif de Queer Eye, avec ses défauts et ses qualités, emporte tout sur son passage. La série trace sa voie et laisse l’espoir derrière elle que l’humanité entraperçue derrière certains sourires (de façade?) continue à se propager une fois les caméras disparues.

Cambroa
8
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le 7 juin 2020

Critique lue 1.2K fois

2 j'aime

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