Pinocchio
4.9
Pinocchio

Anime (mangas) Fuji TV (1972)

Un pantin de bois dans un monde de violence

J’aimerais traiter d’une adaptation méconnue en France des Aventures de Pinocchio et, qui plus est, difficile d’accès, la série d’animation japano-allemande de Tatsunoko Production, Pinocchio/Kashi no Ki Mokku (1972), composée de 52 épisodes. Quand j’étais petite, je possédais une cassette vidéo comportant les épisodes 9 à 12 et j’en garde un souvenir particulier. Cela doit venir du fait qu’il s’agit d’une adaptation relativement sombre des aventures du pantin et, en cela, plus fidèle à l’esprit de l’œuvre de Carlo Collidi que l’adaptation de Disney. Parce que si vous trouviez le Pinocchio (1940) de Disney effrayant à cause des scènes des enfants-ânes et de l’attaque de la baleine, attendez-vous à pire avec cette version.

Créée en 1972 par Seitaro Hara mais diffusée en France qu’à partir des années 1990 sur Canal+, la série d’animation Pinocchio a effectivement ce je-ne-sais-quoi de troublant dans l’impression qu’elle laisse. Déjà, la double nature ambiguë de Pinocchio (semi-humaine, semi-végétal) est assez bien illustrée. Alors que Disney avait préféré le rendre gentiment amoral, on a affaire là à un Pinocchio particulièrement dissipé et exubérant, en rupture avec le monde dans lequel il baigne. Ainsi, il naît à la fois innocent et avec tous les défauts de l’humanité : menteur, agressif, paresseux, naïf, grossier, cruel, inconscient, arrogant, agressif, têtu, insolent, et la liste est longue. On peut dire que c’est une figure très portée sur son individualité et c’est sa recherche constante de plaisirs qui le conduit à faire de mauvais choix. A titre d’exemple, je vais citer le premier épisode « La marionnette est vivante »:

au lieu d’aller à l’école, Pinocchio vend ses livres dans le but d’assister à un spectacle de marionnettes mais se retrouve capturé par un marionnettiste itinérant à la place ; celui-ci - qui a tout du méchant de conte de fée (grosse bouche d’ogre et longue barbe) - va l’obliger à se produire sur scène, n’hésitant pas à le brutaliser s’il ne se plie pas à ses ordres, et c’est cette péripétie qui lance l’itinéraire semé d’embuche de Pinocchio.

Perpétuellement guidé par l’envie de passer du bon temps et de devenir un vrai petit garçon, ce dernier n’aura de cesse de s’acoquiner avec des voyous avisés qui l’utiliseront et le martyriseront ; ça donne bien sûr des scènes de tortures mentales et physiques assez perturbantes. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs connu la censure par chez nous. Mais au Japon, celles-ci ont été diffusées dans leur intégralité et, pour avoir découvert quelques épisodes sur YouTube, je dois dire que la violence est bien présente (et il y a un peu de nudité également). Pinocchio subit presque autant des « méchants » désignés que des « gentils » présumés ;

par exemple, dans l’épisode 10 « Ne mentez jamais » où il s’amuse à faire des mauvaises blagues à travers le village, il est puni par des habitants en étant passé à tabac, et dans la version japonaise, son visage roué de coups apparaît via de gros plans, ce qui est horrible. Son instinct animiste étant soit utilisé contre lui, soit diabolisé, il n’est épargné par personne. Et je vous prie de me croire que si Pinocchio s’était avéré un enfant de chair, la série aurait probablement été boycottée de toute part et interdite aux moins de 12 ans par rapport à cette violence qu’il subit.

On le voit même frôler la mort à plusieurs reprises. Quand il n’est pas battu, il manque de mourir noyé ; quand il ne manque pas de mourir noyé, il est à deux doigts d’être brûlé vif ; quand il n’est pas à deux doigts d’être brûlé vif, il est démembré ; quand il n’est pas démembré, il est possédé ; et quand ce n’est pas le cas, il finit crucifié. Ainsi, on pourrait presque déclarer que Pinocchio meurt et ressuscite périodiquement, jusqu’à ce qu’il apprenne réellement de ses erreurs et fasse preuve de plus de raison, d’intelligence et de courage face à l’adversité. Mais dans un premier temps, il n’est pas que victime.

Alors que dans l’épisode 1, Jiminy meurt malencontreusement écrasé par un maillet lors d’une dispute avec lui (dans le livre, c’est le pantin lui-même qui le lui jette dessus, trop agacé par ses sermons), dans l’épisode 5 « Qu’est-ce que c’est qu’un cœur ? », Pinocchio, influencé par Nora la chatte, essaie carrément de tuer un garçon perturbé de son école, Gino, pour lui prendre son cœur dans l’espoir de devenir un vrai petit garçon à son tour.

C’est complètement dingue, pour ne pas dire tordu, de mettre en place un scénario aussi scabreux au sein d’une série d’animation destiné à un jeune public, d’autant que celui-ci n’a pas été emprunté au roman de Collidi ; pourtant, c’est une prise de risque qui me plaît. En plus de subir, Pinocchio devient donc responsable de faits graves, ou plutôt de méfaits. La mort, qui est un thème inhérent à l’œuvre de base, est montrée sans retenue, du moins dans la version initiale, car en France, comme je l’ai dit, énormément de passages ont été coupés, dont celui où il tente d’assassiner son camarade lui-même assassin d’un pauvre chaton. Mais c’est suggéré de façon que l’on saisisse les conséquences graves que peut entraîner sa désobéissance et je trouve ça fort. De plus, ça appuie l’importance de l’éducation et de l’instruction.

Clairement, Pinocchio fait partie de cette ère où la japanimation osait aborder des thèmes matures : criminalité, abus sur mineurs, cupidité, mortalité, vengeance, trafic d’enfants, maltraitance animale, travail des enfants, maladie, torture, harcèlement, humiliation publique, en j’en passe. Ce genre de programmes télé, les anime, qui connurent un triomphe en France à l’époque du Club Dorothée, avaient de l’impact et on en tirait les leçons qu’on voulait bien y voir. Aujourd’hui, ce n’est plus tellement pareil, les dessins animés étant soit aseptisés, soit trop orientés, ce qui est dommage, à mon sens.

Le pire c’est que Pinocchio a beau se repentir lors d’un épisode, il retombe systématiquement dans ses anciens travers celui d’après, s’attirant des ennuis à répétition, au dam de son pauvre père. A propos du menuisier Geppetto justement, s’il est dépeint comme un homme colérique mais bon dans l’œuvre d’origine, c’est nettement le second trait de caractère qui prédomine ici. Il est gentil, affectueux et compatissant envers tous les êtres vivants, y compris envers Charlie le rat qu’il accepte sous son toit, et, plus que tout, il voue un amour inconditionnel à son fils en dépit des bêtises qu’il peut commettre.

Ainsi, dans le premier épisode où la marionnette voit le jour, il s’empresse d’aller vendre son manteau, au risque de tomber malade, pour lui offrir des vêtements et des livres, démontrant – comme dans le roman – son sens du sacrifice.

Une chose que j’aime plus encore avec ce personnage, c’est le fait qu’il ressente quand son fils est en danger, comme s’il était vraiment de lui alors que leur filiation n’est qu’adoptive ; là encore, je trouve que ça illustre à merveille la force et la beauté de leur relation.

Puis dans l’épisode 29 « Prisonniers des bandits », notre brave sculpteur sur bois va jusqu’à commettre un acte allant à l’encontre de ses principes pour sauver la vie de son fils, abattre un homme, ce qui prouve, une fois de plus, la grandeur de son amour pour lui.

A l’image du roman originel, cette adaptation de Pinocchio est dotée d’une ambiance oscillant entre légèreté et horreur. Je ne saurais dire si cette horreur ressentie provient des dessins-mêmes qui sont, pour le coup, pas très jolis, ou si celle-ci est légitimement instaurée dans la série. Peut-être des deux. On a quand même droit à plein d’épisodes avec des monstres génocidaires, dont un en deux parties intitulé « Attention aux sorcières » (ép. 6 et 7)

où Pinocchio termine entre les mains d’une sorcière nommée Rachel et d’une comtesse-vampire absolument terrifiantes. Dans ce même épisode, on assiste de surcroît à l’attaque de ses amis par des loups (deux sont tués) et à l’abattage d’un cheval par la sorcière. Comme quoi l’horreur est au rendez-vous.

Toujours est-il que l’esthétique est typique de l’époque, les scènes de dialogues et de réflexions se caractérisant, par exemple, par des fonds pastel avec des motifs psychédéliques en second plan. En outre, Pinocchio a une allure fine avec une tête ronde et des cheveux bleus, rappelant plus un garçon d’une dizaine d’année qu’un petit garçon comme dans le classique Disney. Son doublage français, assuré par David Lesser, lui donne l’air plus âgé, en tout cas, à l’inverse de la version originale où il bénéficie d’une voix plus mignonne que je préfère (il est doublé par Hiroko Maruyama). Il fait aussi légèrement peur, que ce soit par sa manière de se mouvoir, ses drôles d’expressions et sa tendance à tourner sa tête sur elle-même comme le démon dans L’Exorciste (1973), que par ses actions aussi irréfléchies les unes que les autres (dans l’épisode 11 « L’amour d’une mère », par exemple,

il se met en tête de prendre la place d’un fils décédé auprès de sa mère éplorée).

Ajouté à cela un caractère impétueux et on tient-là un personnage tout à fait surprenant, loin d’être un modèle pour les enfants, mais, bien sûr, là n’est pas le but.

N’oublions pas d’évoquer les autres personnages, lesquels, ma foi, collent plutôt bien à la façon dont Collidi les a conçus. Après sa mort accidentelle, Jiminy Cricket - qui est appelé Grillon-parlant dans le livre - réapparait vite sous la forme d’un fantôme et devient alors la conscience de Pinocchio (que lui seul peut voir). La Fée Bleue, qui - dans le livre - passe légèrement pour une sadique en laissant Pinocchio pendu pendant de longues heures avant de le secourir, apparaît commodément douce, bienveillante et altruiste, à l’image d’une mère. Le Chat, qui a d’ailleurs été changé en Belette du nom de Willie pour je ne sais quelle raison, est dessiné sans pupilles, contrairement à son copain Renard/Jack, et je me demande si ce ne serait pas un clin d’œil au roman où il fait semblant d’être aveugle. Sans doute. L’ironie de la relation de ces deux-là avec Pinocchio tient du fait que celui-ci les prend pour des amis alors qu’ils ne font qu’attenter à sa vie avec Charlie dès qu’ils en ont l’occasion - durant la première moitié de la série -. En parallèle, la marionnette acquiert des copains d’école plus ou moins recommandables. Son sens de la moralité sera fréquemment mis à l’épreuve par l’un d’entre d’eux en particulier, Franco. Quant aux bandits humains, ils partagent des designs similaires : grosses lèvres, barbe fournie et petits yeux noirs scintillants. A croire que ces attributs sont l’apanage des méchants, du moins considérés tout comme. Et avec un entourage aussi bigarré, notre marionnette titre est censée s’y retrouver dans la vie ?

Quoi qu’il en soit, l’anticonformisme inné de Pinocchio n’est pas vain. Au contraire, il sert à souligner une réalité ingrate et rude. Je veux dire, si lui est loin d’être un cadeau (comme il est chanté dans le générique de début en VF), les personnages qui se servent de lui impunément, alors qu’ils sont censés être adultes et donner l’exemple, sont parfaitement nocifs et portent les symptômes d’une société à la dérive. C’est probablement ce que Carlo Collidi voulait, dénoncer la misère italienne de l’époque, et ce, par les voies de la satire et de la parodie. Les châtiments christiques de Pinocchio servent d’avertissements. La série l’a totalement compris et donne ainsi aux petits de quoi méditer sur leurs actions et aux plus vieux de quoi s’interroger sur la réalité qui les entoure. Tout le monde y trouve son compte et, pour cela, on peut affirmer que Pinocchio est bel et bien universel.

En définitive, la série réussit à conserver l’essence du livre, notamment à travers les personnages, tout en s’autorisant quelques libertés scénaristiques ; dans tous les cas, les chapitres du roman étant courts, cela n’aurait surement pas donné des épisodes substantiels que de les reprendre littéralement. Par conséquent, il est plus question de références et de clins d’œil, parfois à la mythologie grecque et aux folklores modernes, que d’emprunts stricts à l’œuvre littéraire, comme dans l’épisode 23 « L’arbre d’or »

où Pinocchio est entraîné sur la piste d’un arbre censé le rendre riche, ce qui correspond au chapitre 18, avec le Champs des Miracles.

Par ailleurs, il va de soi que le format du dessin animé facilite grandement l’articulation entre la réalité et le fantastique par rapport aux autres formats télévisuels, comme le live-action.

Sinon, ce que je déplorerais dans cette série est son animation peu fameuse, le fait que les épisodes suivent toujours le même schéma narratif, c’est-à-dire Pinocchio qui se met en danger et qui, naturellement, s’en sort, que ce soit par lui-même ou l’aide d’un proche. Le peu de musique dans la version française est également regrettable, la surutilisation des voix des mêmes doubleurs est irritante à la longue, et pour finir, la censure appliquée en France nous fait perdre trop de moments d’intensité malgré les interventions du narrateur destinées à fluidifier le récit. Bilan des courses : la plupart des épisodes sont acceptables, contre une petite poignée de vraiment bons.

Je donne donc la note de 6/10 à Pinocchio de Seitaro Hara.

MalaurieR
6
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le 21 juil. 2023

Critique lue 53 fois

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