Masada
7.9
Masada

Série ABC (1981)

Voici un retour dans le passé, bien avant que Rome ne relance l'intérêt de la TV pour les péplum en feuilleton, avec leur lot de jupette, de paires de seins, de luxures, de trahison et d'hémoglobine. Il fut un temps pas si lointain où la TV pouvait livrer de belle réussites sans aller à la pêche aisée du spectateur en mal de voyeurisme décadent.


Avant le coup de grâce asséné par Xéna et Hercule qui coula le genre jusque HBO remette le couvert, ABC eut l'idée assez heureuse d'adapter un roman de Ernest Gann - The Antagonist - que je n'ai pas lu. Alors pourquoi en parler ? Pour faire le malin, pardi ! Non, en fait (enfin si quand même un peu, fo po déconner on s'la joue quand même je commente une série de niche là ^^U) c'est parce que le générique fait référence à cette oeuvre que j'ai réussi à dégotter en occasion et que je vais lire avec intérêt.


L'idée heureuse ne vient donc pas de cette adaptation que je n'ai pas encore lue mais de celle de cette histoire narrée par Flavius Joseph, au Ier siècle de notre ère. Le roman de Gann repose en effet sur un épisode célèbre qui vint mettre fin à la Guerre des Juifs, la chute de Massada, ultime bastion des Juifs refusant de se plier à la volonté romaine. Après un siège dantesque pour les Romains, la forteresse fini par être prise dans un conclusion qui reste encore sujette à caution (les défenseurs se seraient tous suicidés, ce qui visiblement est loin d'être une certitude au regard des interdits religieux). Flavius Joseph a la particularité d'être Juif, d'être passé dans le camps romain et donc d'être un témoin de premier ordre de ces faits. Massada reste encore aujourd'hui un élément majeur de la mémoire juive et, ce faisant, israëlienne.


Cette adaptation (on y vient enfin) repose sur plusieurs piliers qui la porte bien haut dans mon coeur. Primo, des moyens, et non des moindres : on a reconstruit un camp romain, on a tourné sur les lieux de l'époque, à Massada, donc, on a mobilisé moults figurants : Masada est une super production comme a pu l'être un Cléopâtre tourné une quinzaine d'année plu tôt, toute proportion gardée bien entendu devant la démesure absolue du film de Joseph L. Mankiewicz. Que ça fait du bien de voir des angles en trompe l'oeil, de voir des maquettes, des inserts, des figurants courant partout ! Sans les pixels, le charme est authentiquement jouissif.


Seconde force majeur, le jeu et la réalisation. Oui, c'est parfois théâtral. C'est que face aux Us et Coutumes modernes, nous sommes à une autre époque ; ici, le théâtre servait encore de porte d'entrée pour ceux qui étaient, encore, d'authentiques stars. Alors quoi, je me la joue vieux con ? Oui, sans problème. Les bons voire excellents acteurs d'aujourd'hui sont loin d'égaler la carrière immenses de stars passées. Quand Peter O'Toole porte son regard vide avec mélancolie vers son verre, c'est moins sexy que Russel Crowe ou Brad Pitt, mais perso, je prends bien plus de plaisir. Ici, tout est dans un regard, une expression. Les dialogues sont fouillés, les tensions palpables. Peter Strauss est formidable, les deux rencontres avec Flavius Silva (O'Toole) sont dignes des meilleurs moments du genre. Oui, c'est vieux, oui, ça manque de punch, mais que c'est bon. Pas de violence gratuite, pas de cul facile alors qu'il y avait moyen avec la très belle Barbara Carrera, tout est dans la finesse et le bon goût. La violence est suggérée, narrée, le sexe est tendu sous un voile pudique mais ô combien plus excitant telles ces robes à peines transparentes de Sheva : la grande classe.


Troisième force, les personnages. La galerie est complète et fondamentalement humaine ; les persos sont bourrés de qualités et de défauts, on peut s'attacher à chacun. Bien entendu, la part belle va aux deux héros : Eleazar Ben Yair joué par Peter Strauss est autant un illuminé qu'un homme amoureux, autant un guerrier qu'un être perclus de questionnements sur ses propres motivations et décisions. Silva est un personnage tragique : il sert un empereur, Vespasien, entouré de traîtres qui ne pensent qu'à le renverser (cette partie, très courte au regards des 6 heures de la série est superbement intéressante. Il a perdu sa femme, vient de passer des années à mater une rébellion dans un pays terrible. Il gère des hommes épuisés, lui-même est devenu alcoolique, sombre, se relève, avant de sombrer à nouveau. Il porte le rêve d'une Rome civilisatrice au bout de son glaive. Il tue, déteste le faire, trouve une nouvelle femme, Sheva, mais n'est rien d'autre qu'un maître avec son esclave. Falco est un superbe enfoiré, Vespasien est touchant avec son vieil ami, Gallus est excellent en soldat et ami dévoué. Mieux, les auteurs se sont intéressés à l'homme de troupe : celui qui souffre, l'assiégeur, celui qui souffre, l'assiégé. Celui qui attend sa solde pour aller aux putes, celui qui veut rentrer. Très belle galerie que celle-là même si, j'y reviendrai, elle repose sur un sol glissant.


Quatrième force, le casting ; je ne reviendrai pas sur Peter O'Toole ou Peter Strauss : le second est excellent, le premier égal à lui-même. Mais sont aussi là Anthony Quayle, David Warner ou encore Jack Watson en decurion des familles, lui, le superbe sous-officier de "La colline des hommes perdus".


Cinquième atout majeur, la qualité de la reconstitution. Ok, impossible de faire parfait dès lors qu'on s'attarde sur la période antique. Mais j'ai vu tellement pire, à commencer par la série Rome ! Franchement, le travail livré est sérieux, documenté, ça tient vraiment la route. Voir un siège, véritable, déguster cette leçon de poliorcétique par les paroles de Gallus, voir cette tour, franchement, c'est jouissif.


Sixième atout, tout ce qui ne tient pas, ou peu la route. Cette lecture de Massada est bien évidement une lecture contemporaine ; on ne sait pas grand chose des états d'âmes des légionnaires pas plus que de Flavius Silva. Le discours ici emprunte beaucoup au contexte des 70's - début 80's, avec une guerre du Vietnam encore proche dans les esprits (pour la lassitude face à la guerre d'ailleurs le parallèle est fait par K. Marlantes dans Retour à Matterhorn avec les soldats de l'antiquité qui vivait les mêmes émotions, seules les armes changeant) ou même des oeuvres du type A l'Ouest Rien de Nouveau. La mutinerie proposée est proche de celle que dut affronter C.I.Caesar en Egypte en 47et ne semble donc n'avoir rien à faire ici ... Mais, surtout, mine de rien, on est là pour fracasser des Juifs avec un point d'entrée la destruction du Temple à Jérusalem ; comment ne pas penser à Camp David encore tout frais (1978), ou au conflit Israëlo-Arabe pas loin de ... de pas être totalement réglé. Ou encore ce Falco, superbement ignoble, entouré de ses gardes ... Teutons ... ok, tu le vois le clin d'oeil foireux aux Nazis ? Et quid de cette intro contemporaine et de cette conclusion sur fond de levé des couleurs israëliennes ...


Donc on se fout finalement que la musique soit correcte mais pas transcendante. On se fout des libertés prises. Cette série vaut le détour. Pleine de charme, de questions aux accents shakespeariens, d'une lecture de ce début des années 80, audacieuse quant aux moyens mis en avant, elle se déguste avec plaisir et, j'ose, jubilation et émotion. Oui, c'est classique au possible, on pourra même dire vieillot, tout ça et surtout ce Flavius Silva, moi, ils m'ont touché.

Aqualudo
9
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le 17 juil. 2013

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