Frasier
6.9
Frasier

Série NBC (1993)

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Vous cherchez un programme court, divertissant et vous ne voulez pas embarquer dans une série aux arcs narratifs d'une longueur élastique ? "Frasier" est fait pour vous. Ce sitcom américain dont la production s'est arrêtée il y a déjà plus d'une décennie, est un petit bijou d'humour et d'esprit.


"Frasier" réussit le tour de force d'être drôle sans faire appelle à l'humour trash, au sexe, à la violence ou à un hyper-réalisme trompeur. Ici vous retrouverez ce que la comédie classique sait faire de mieux : des personnages haut en couleurs, des situations improbables, des répliques écrites au millimètre. La valeur intemporelle de ce sitcom est de ne s'intéresser qu'aux rouages de ce qui la fait vivre : l'humanité.



Ainsi naquit Frasier Crane...



Mais avant de parler du sitcom "Frasier" il faut faire un retour sur son statut de spin off. Petit détour par la série mère "Cheers" (1982-1993). Nécessité faisant loi, il fallait face à Sam Malone, personnage central de "Cheers", un second rôle qui contrebalance l'exubérance de sa virilité caricaturale (mais sans mettre son aura de mâle Alpha en danger). Ainsi naquit Frasier Crane, prétendant malheureux de Diane Chambers et psychiatre donneur de leçons, peu en prise avec le réel. Et au moment où "Cheers" tire sa révérence, deux personnages vont avoir droit à leur spin off : Carla Tortelli (série avortée au bout de quelques épisodes) et Frasier Crane.


Frasier, psy assez insignifiant lors de son apparition dans "Cheers" avait , dans la seconde moitié du programme, réussit à s'identifier auprès du public qui adorait le détester. Porté par la NBC et ses trois auteurs (D.Angell, P.Casey et D.Lee), Frasier allait donc continuer son existence faisant de Kelsey Grammer un des rares acteurs ayant incarné un personnage de sitcom pendant plus de vingt ans.


Mais pourquoi regarder une série achevée il y a 11 ans ? Est-il nécessaire de regarder tout "Cheers" pour suivre les péripéties de ce quadragénaire ? Quelles sont les particularités de ce show et pourquoi a-t-il été l'objet de tant de récompenses ? Est-ce mérité ? Cette série va-t-elle changer votre vie ?


Les réponses sont multiples, voici les miennes (préparez vous une tasse de café et bravo à ceux d'entre vous qui me liront jusqu'au bout ;).



Promettre et tenir



Au même titre que "The Mary Tyler Show", "Cheers", "Taxi" ou "Seinfeld", "Frasier" fait partie de ces séries, qui sans avoir inventé le genre, ont participé à fonder la grammaire contemporaine des sitcoms. Accusé, à raison, d'être instrumentalisé par les chaînes pour occuper du temps d'antenne entre deux publicités de lessives, ce format court était (est encore) perçu par la critique savante comme sous-genre narratif à destination des oisifs, des mères de familles, des décérébrés incapables d'ouvrir un livre ou, dans le meilleur des cas, des enfants. Et l'on sait que le "divertissement" sous toutes ses formes est partout (et plus encore en Europe) considéré comme un genre facile.


"Frasier" est bel et bien un sitcom de divertissement dans toute l'acceptation du terme. Mais la contrainte est souvent un moteur stimulant pour les créatifs. "Frasier" n'est pas un chef d'oeuvre, mais un sitcom efficace dans sa continuité. Il ne fait que les promesses qu'il peut tenir : amuser et divertir tout en offrant un casting homogène, une régularité de ton et un miroir où le spectateur peut s'amuser à voir, ça et là, l'écho de ses préoccupations humaines (s4-e12). Et c'est une prouesse en soit quand on voit nombre de show, qui à l'aulne de hautes ambitions annoncées, s'écrasent lamentablement ou s'étiolent saison après saison (ce qui fut le cas des dernières années de "Cheers").



"Frasier", un rythme à part



Evidemment "Frasier" ce n'est pas "Scrubs" ou "Louie". Frasier c'est aussi et surtout un rythme narratif différent. Les séquences s'enchaînent avec lenteur sur des fondus au noir où sont insérés des cartons d'intertitres apportant, au montage final de chaque épisode, une forme de lenteur élégante (à la façon du cinéma muet). Les textes des cartons sont, tour à tour, sarcastiques, ironiques, décalés et jouent avec les mots pour intriguer le spectateur comme un teaser. Les fondus au noir marquent aussi, à la manière du rideau de théâtre qui se baisse entre chaque acte, les changements de lieux et de décors.


Au final, ce rythme narratif lent et sobre semble particulièrement singulier dans le paysage audiovisuel américain des années 90 bousculé par une accélération généralisée. Partout sur les grandes Network débarquent des sitcoms aux vélléités prudemment incisives ("Mariés 2 enfants" 1987-1997, "Ellen" 1994/1998, "Spin city" 1996/2002, "Roseanne" 1987/1998, Friends 94/2004, "Seinfeld" 1989/1998, "Grâce under fire" 1993/1998, etc ). Mais ce que l'on retiendra surtout de cette décennie c'est l'arrivée sur le marché des fictions de divertissement des producteurs du réseau cablé qui échappent totalement au comité de censure. HBO, en tête de cette fronde, fera trembler l'audience avec des productions aux sujets singulièrement plus corrosifs (tels que : "Dream on", "Oz", "The Wire", "Sex and city", etc)



Regarder "Frasier en 2015 ?



Alors que l'horizon concurrentiel semble donc explorer la vie de l'américain(e) moyen(ne), Frasier s'attache à décortiquer le quotidien d'un groupe de personnages d'une classe plus aisée. Alors que les personnages des autres séries oeuvrent à des professions manuelles ou "intermédiaires", Frasier met en scène un binôme de frères se cantonnant à une activité purement intellectuelle. Alors que les autres séries tentent de s'affranchir ou de contourner les interdictions du comité de censure des networks, Frasier se limite à une exploitation consensuelle des thèmes généralement mis en scène dans les sitcoms. Alors que la concurrence tente de ratisser large niveau audience, Frasier ne s'adresse presque idéalement qu'aux 30/50 ans, issus des classes aisées et vivant en ville.


Frasier est donc bien un sitcom à part dans le panorama des créations des années 90. Mais pas uniquement sur son rythme. Le axes narratifs et le traitement des sujets propres aux sitcoms, sont dans Frasier revus par le prisme d'un classicisme rarement égalé depuis. Dans "Frasier" pas de parti pris politique (exception peut-être de cet épisode s2-e07), sociaux ou religieux. Pas de référence à l'actualité contemporaine du show. Les grandes thématiques (l'amour, la solitude, le célibat, la rivalité, la famille, l'amitié, la mort,...) habituelles aux sitcoms y sont abordées sans éléments tiers (temporels ou sociaux) perturbateurs. La série pourrait (presque) se dérouler aujourd'hui dans n'importe quel pays de l'hémisphère nord. Regarder "Frasier" en 2015 ? Oui, c'est donc tout à fait possible.



Faut-il avoir vu "Cheers" pour suivre "Frasier ?



Et pour cela, nul besoin d'avoir vu "Cheers". D'ailleurs le personnage de Frasier Crane évolue entre la fin de sa série d'origine pour réapparaître dans le pilot de son spin off. Il est toujours psychiatre, mais il a divorcé de Lilith (s1-e16), il a déménagé de Boston pour retrouver Seattle sa ville natale. On lui découvre un père: Martin Crane. Alors que dans "Cheers" son père mange les pissenlits par la racine. Il a un frère : Niles Crane. Frère auquel il n'est jamais fait allusion dans Cheers.


La seule constante entre les deux séries c'est le personnage dont les scénaristes ont gardé les contours qu'ils n'auront de cesse de retoucher pendant onze saisons. Vous pouvez regarder cette série sans embarquer dans la décennie de quiproquos amoureux de Sam Malone, Frasier Crane n'y jouant à proprement parler que le rôle de faire valoir.



Frasier : le fils prodigue



Pourquoi la série a-t-elle réussi à fédérer tant de spectateurs ? L'une des réponse est probablement dans le casting lui-même. Kelsey Grammer, qui incarne Frasier Crane, maîtrise sa partition et n'hésite pas à occuper l'espace jouant de son corps, de ses mimiques mais aussi de ses nuances vocales (il est la voix originale de Tahiti Bob dans les "Simpson") pour composer un personnage horripilant (s7-e21), sentencieux mais rendu humain (s6-e11) par l'accumulation de ses incompétences à vivre avec ses congénères (s2-e06). Psychiatre diplômé de Harvard, Frasier est un individu assez désagréable si vous deviez le croiser dans le monde réel.


Conscient de son ascendance moyenne, il rêve d'intégrer la très sélecte bourgeoisie de Seattle. Fière de sa réussite au titre de psychiatre radiophonique, conscient de sa supériorité culturelle (s7-e03), il assène ses points de vue, convaincu d'être constamment dans le vrai (s3-e17). Mais son esprit, qu'il pense être son point fort , se retourne constamment contre lui (s5-e24). Ses hésitations (s8-e13), ses interrogations (s8-e09 et s9-e01), ses indignations, ses éternels conflits intérieurs (s4-e03) deviendront les moteurs involontaires de situations comiques par excellence.



Niles : le frère "Collyer"



David Hyde Pierce, l'interprète de Niles Crane, ami (s2-e23) mais rival ( s1-e22, s2-e18, s5-e02 et s7-e06) de son frère aîné, est ,quant à lui, l'heureuse découverte de cet univers. Toute sa personne frise le burlesque. Psychiatre de son état, d'un snobisme exacerbé (s6-e04), lunaire en perpétuel décalage, il est affublé d'une épouse aristocratique dont l'excentricité occupera de nombreux épisodes. Il entretient avec son frère aîné une relation à la limite du fusionnel (illustré notamment par l'épisode s06-e17 faisant référence à l'affaire des frères Collyer) qui donne lieu à de nombreuses rivalités, que tous deux gèrent sans jamais rompre leur attachement singulier.


Obsessionnel (il nettoie toutes les chaises avant de s'asseoir), amoureux fou de Daphné la garde malade de son père (s4-e06), rigide(s6-e07), lâche avec sa femme (s5-e13), courageux pour défendre son frère ou Daphné, fidèle (s1-e17 et s2-e21), inconstant, bête à manger du foin (s2-e04 et s7-e02) et doté d'un QI de génie de 156 (s6-e19) , Niles Crane est un des rares personnages de sitcom capable d'incarner toutes ces contradictions à la fois sans voler en éclat. Cette prouesse est largement du au talent de David Hyde Pierce qui compose son personnage avec une légèreté et une grâce (s6-e14) qui pardonnent toutes les excentricités des scénaristes.



Martin, Le père ce héros



John Mahoney, interprète de Martin Crane, le père invalide, est exact dans la distance qu'il fait exister entre lui et ses deux fils (s4-e08). Appuyé sur son inséparable canne, à la silhouette étonnamment agile, l'ancien flic, affligé d'une hanche inguérrisable, est tout l'opposé de ses enfants. Il n'a que faire de l'avis des autres en général et de reconnaissance sociale en particulier. Il sait où est sa place (s2-e05) et profite du confort de son fauteuil pour, de temps à autres, lancer une remarque qui fait mouche. Ses répliques acerbes et son insolence de ton, augurent peut-être inconsciemment, le cynisme en moins, les qualités d'observations clinique d'un Dr House sur ses semblables et dont ses fils sont les premières victimes.


Jouisseur (s6-e12), rusé (s7-e15), cabotin (s7-e15) et pragmatique, c'est le personnage qui dédramatise (s1-e21) par son bon sens terrien les éternels questionnements de ses rejetons. Son fauteuil cabossé (s1-e19 et s9-e07), ses bières, ses matchs de base ball, ses partis de poker (s1-e15 et s8-e03) et son jack russell facétieux illuminent (s7-e12) par leurs contrastes les opéras, les séances d'oenologie et les "party dinatoires" d'un Frasier toujours au bord de l'explosion.



11 ans de "One alone"



Ces archétypes de personnages sont visibles dans bons nombres de soaps (voire de films) et ce n'est pas ce qui démarque cette production des autres. Ajoutons qu'à ce casting de base s'additionnent des seconds rôles énergiques : Daphné (l'ingénue gouailleuse et inconsciente de son pouvoir féminin sur les hommes s4-e20), Roz (la céli-battante urbaine à la féminité débridée), Bouldog Brisco (une sorte de Barney Stinson primitif sans costume et sans son livre des rôles),Gil Chesterton (un critique culinaire sexuellement ambivalent), etc.


C'est donc bien la synergie induite par les inter-actions des frères Crane et de ce monde hautement improbable qui huile les rouages humoristiques du scénario tissé à chaque épisode. L'efficacité de la série réside certainement dans cette synergie. Vous pouvez, si vous le souhaitez, regarder un épisode complètement sorti de son contexte (car la plupart des épisodes sont conçu comme des One Alone) et il fonctionnera très bien. Ici pas de fil rouge à rallonge, si ce n'est l'affection de Niles pour Daphné.



Scénario : du boulevard à la comédie de moeurs



Alors que chaque épisode est tourné, dans la grande tradition du sitcom, en public par trois caméra, pourquoi "Frasier" est tout de même considéré comme un classique de la comédie ? Probablement car les scénaristes font appel aux ressorts habituels de la narration théâtrale. S'approchant du théâtre de boulevard voire du vaudeville (s5 - e14), les auteurs réussissent à en appliquer les mécanismes tout en préservant la tension nécessaire à ce format court.


Comment est-ce visible à l'écran ? La comédie est avant tout une question de rythme. Dans "Frasier la majorité des scènes sont conçues pour permettre aux comédiens d'être dans le temps (bon timing) juste. Silences et plans fixes précédent avec efficacité l'instant où l'élément comique va surgir. La lenteur volontaire du découpage, l'économie de scènes voire des dialogues et une écriture ajustée sur mesure à chacun des comédiens complètent les ingrédients essentiels de "Frasier".


Pousser par les ressorts du comique de situation, des quiproquo (s2-e3), des répétitions et des assertions burlesques, les personnages de "Frasier" s'étirent, s'adaptent et révèlent leur potentiel comique. Les dialogues fusent et les répliques font mouche au point de conduire certains épisodes du vaudeville à la comédie de moeurs. Les personnages ne sont jamais épargnés.


Sous couvert de comédie, les auteurs fustigent les travers de toutes les classes sociales : l'élite intellectuelle coupée du réel et inapte à s'y inscrire, la bourgeoisie rentière croupissant dans son auto-suffisance, la classe moyenne réfugiée derrière son conformisme rampant, le prolétariat idéalisé dans son pragmatisme limitant sa pensée au champ de l'action immédiate.


Mais le discours partant du général s'intéresse aussi au particulier. Ainsi la satire, au delà des classes sociales, décortique aussi les travers des hommes, des femmes, des familles, des institutions, etc. En 11 années d'écriture les auteurs auront su avec finesse parfois, avec humour toujours, mettre en exergue les dysfonctionnements anodins ou profonds qui, ici comme ailleurs, donnent à la vie sa valeur universelle de défi permanent.



Le sitcom aux 129 récompenses



Les détracteurs pourront arguer que "Frasier" est une série trop "blanche", que son rythme est trop lent, que son écriture scénaristique demeure trop conventionnelle, que la série n'est pas assez "gay-friendly" pour son époque, qu'elle a perdu de son ressort humoristique après que le fil rouge Niles/Daphné ait connu son point culminant à la saison 7, que le personnage de Frasier piétine dans les dernières saisons... Evidemment, une série qui s'est déployé sur onze années prête plus largement le flan à la critique. L'unanimité serait louche ! Et comme nous le savons, rien n'est parfait et "Frasier" n'est pas un chef d'oeuvre.


Mais il n'en reste pas moins que la série détient un records que même "Modern Family" n'a pas encore battu à ce jour : celle de la comédie TV de fiction la plus primée de tous les temps : 129 prix au total obtenus pour 267 nominations (dont 37 Emmy Awards et 3 Golden Globes). Même si les récompenses n'ont jamais été garantes d'une qualité intrinsèque, il est intéressant de noter que reconnaissance publique (audience) et prix cumulés, "Frasier" est, dans sa catégorie, l'un des show les plus en équilibre entre ces deux seuls juges : la reconnaissance de ses pairs et celle de ses spectateurs.


En regardant Frasier, vous ne regardez donc pas qu'un sitcom qui fait rire. Vous regardez un programme bien écrit, intelligent, drôle, bien joué et surtout qui reste fidèle aux promesses qu'il vous fait. Et si comme nombre de critiques sur ce site, vous ne savez pas quoi regarder lorsque vous déjeunez seul au bureau ou chez vous, pourquoi ne pas regarder un épisode au hasard histoire de vous forger votre propre avis ?


Est-ce que ce sitcom changera votre vie ? Soyons sérieux, Aucune série ne peut faire ça... ou presque !

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le 7 oct. 2015

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