Doom Patrol
6.8
Doom Patrol

Série Max (2019)

Grant Morrison est un drôle de cas. Il a débarqué à la fin des années 80 avec d'autres Anglais comme Neil Gaiman dans la passionnante branche Vertigo des DC Comics, dans le sillage d'Alan Moore dont il est le clone chauve. Un clone appliqué et doué qui malgré ses quelques imperfections capillaires déroule le programme de son modèle : postmodernisme et magie.

On trouve donc parmi les êtres surnaturels qu'affronte dans le tournant des années 1990 cette Patrouille Maudite (initialement traduite en plus anodine "Patrouille Z" dans les pages des "petits formats" français des années 60), un homme-livre dont la peau est couverte du texte dont la lecture provoquera l'annihilation de l'univers; des sortes de cénobites sortis des cauchemars de Clive Barker qui ne s'expriment que par anagrammes; des agents de N.O.W.H.E.R.E. (allusion probable aux Hommes d' U.N.C.L.E.) dont les paroles reprennent les initiales de leur acronyme, et qui pourchassent tous les anormaux comme Dany la rue vivante portée sur le travestissement; des bipèdes armés de ciseaux qui découpent les gens hors de notre réalité... Et tout un bestiaire convoqué par diverses pratiques ésotériques, bien plus vaste que dans l'adaptation télé.

Il n'est pas étonnant que cette dernière baisse de plusieurs crans la folie, et évacue l'esprit qui a inspiré cette mouture du comic. Les thèmes liés à l'acceptation de la différence sont bien sûr conservés, mais le rapport entre langage, perception du monde et réalité n'est plus explicité, au point que certains rebondissements deviennent encore un peu plus obscurs dans la version télé - par exemple, l'invention d'un culte concurrent à celui du destructeur d'univers, ou comment les croyances créent la réalité efficace de leurs dieux. Ou encore la reprise du motif visuel de la cigarette allumée permettant de créer une porte vers un autre lieu, passant dans la bédé par la persistance rétinienne.
Sans parler de la confrérie du mal, transformée par Morrison/Mr Nobody en confrérie de Dada; ou du tableau qui avale la ville de Paris.

Le personnage de Mr Nobody lui-même, qui dans le comic est à mi-chemin du dessin figuratif et de l'icône d'ordinateur (rappelant le gugusse qui apparaissait inopinément pour donner des conseils dans les anciennes versions de word, un trombone avec des yeux), conserve néanmoins un aspect qui relève presque d'un compromis entre la 2D (relative du monde de papier du comic) et la 3D (relative de la série), et dispose du pouvoir meta de narrateur occasionnel - télépathe capable de parler dans la tête des autres personnages comme dans la nôtre, spectateurs. Mais Negative Man, qui devient sous la plume de Morrison une sorte de demi-dieu androgyne, n'est pour l'instant dans la version télé qu'un homme qui peine à faire son coming out.

Les dessins et l'encrage schématiques (et très laids, car comme sur Animal Man, les bons dessinateurs arriveront après le départ de Morrison) représentent malgré leurs limites un monde bien plus exubérant que celui de la version audiovisuelle, mais cette dernière enrichit la relecture de la bédé en me permettant d'entendre la voix du caractériel Robotman (incarnée par un Brendan Fraser superlatif), et réunit un groupe d'acteurs charismatiques, à commencer par Timothy Dalton dans le rôle du "prof" qui a soigné et réuni la bande de bras cassés qui nous occupe ici, et grâce aussi à Diane Guerrero qui incarne une convaincante "Crazy Jane" que des traumatismes infantiles ont poussée à se créer 64 (chiffre symbolique bien sûr) personnalités.
Une différence notable, en plus du rôle prégnant du personnage de Cyborg plutôt associé aux Teen Titans, est la présence de Rita Farr ou "Elasti-Girl", membre de l'équipe originale qui avec certains éléments de la version des années 80, vient de mourir lorsque Morrison arrive sur la série. Mais Robotman, le prof et Negative Man sont en activité depuis la mouture originale créée par Arnold Drake en 1964 quelques semaines avant les X-Men de Marvel.

Drake avait pressenti l'urgence pour DC de créer des personnages de super héros moins monolithiques, et il s'est probablement inspiré des déjà très conflictuels 4 Fantastiques, en particulier la Chose, pour choisir ses parias tourmentés par leur monstruosité. A vrai dire, Robotman est une sorte de monstre de Frankenstein (un homme dont le cerveau a été transplanté dans un corps de Golem mécanique, apparu dans un comic en 1942), et Negative Man est, à cause des radiations qu'il émet, complètement enturbanné comme l'homme invisible. Rita Farr évoque à la fois une forme (blobesque dans la série télé) du "stretch" Reed Richards des 4 Fantastiques, Ant-Man, Atom et la "5O feet woman" du cinéma - et le prof est l'epitome de tous les savants fous géniaux dont l'absence de scrupules se dévoile progressivement.
Il s'agit moins pour ces individus de bénéficier de pouvoirs (qu'ils ne maîtrisent pas au début de la version télé) que de souffrir d'une condition, qui les fait survivre dans la nostalgie d'une vie passée devenue impossible; alors que le "prof", lui-même bloqué dans une chaise roulante, essaie de leur faire embrasser leur condition de "beautiful freaks".

Même si elle s'inspire essentiellement de la mouture du comic apparue un quart de siècle après ses débuts, l'adaptation télé ne se prive pas d'inclure quelques "caméos" puisés parmi la multitude de créatures loufoques du comic original des sixties - tel le "vegetable mineral animal man". D'ailleurs, le mystère n'est pas encore levé sur cette vertu cardinale des supers, leur immortalité - dont la série se permet de jouer, en situant les origines des personnages dans les années 50/60/70?, et en consacrant un épisode à la rencontre de l'actuelle équipe qui ne vieillit pas avec d'anciens membres arrivés au crépuscule de leur vie... ???

Dans la lignée de ces séries de super héros de plus en plus déviantes (Misfits, Happy! de Morrison déjà, le Tick, Future Man...), cette Doom Patrol constitue la réponse de DC au Legion de Marvel, certes moins stylisée mais aux intrigues plus resserrées.


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Dernière saison :

Finies les "intrigues resserrées" (un épisode sur deux quand même). Cette série est devenue lamentable. Vide total. Ils se sont éloignés du comic pour finir dans le néant. Toute la dernière saison se traîne comme les croulants que sont devenus les personnages, il ne s'y passe RIEN.

Et on n'a pas le droit de se planter sur un épisode chanté - apparemment c'est devenu la dernière bonne idée devenue tellement galvaudée qu'elle est reprise par les scénaristes sans talent (apparemment la grève des scénaristes a laissé le champ libre aux nulla-o-sses).

ChatonMarmot
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le 24 nov. 2023

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