The Partisan
8.9
The Partisan

Morceau de Leonard Cohen (1969)

Vierge de toute attente, j’introduisis le disque dans la platine. Une voix rauque emplit la pièce. Léonard Cohen, c’est un timbre grave qui prend aux tripes. Un gars qui chante les amours mortes, l’amitié, la soif, le désert et l’alcool triste. J’aime le country. Je vaquais à mes petites affaires, quand le surprenant Canadien lâcha en français :


Un vieil homme dans un grenier
Pour la nuit nous a caché
Les Allemands l'ont pris
Il est mort sans surprise


Comment cela, “sans surprise“ ! Que raconte-t-il ? Où sont les feux de camp et les cow-boys ? imperturbablement, Leonard poursuit son tour de chant :


Freedom soon will come
Then we'll come from the shadow.


D’accord, la liberté reviendra. Mais de quoi parle-t-il ? Je reprends la piste 4, tous mes sens en éveil. Il y est question d‘un partisan, chez nous, en France.


Nous sommes en 1943. Les Gaullistes se cherchent un hymne. Qui écrira le Plaine, ma plaine des forces françaises libres ? Deux textes seront retenus. Vous connaissez tous Le Chant des partisans d’Anna Marly, Joseph Kessel et Maurice Druon. Il n’y est question que d’appel général à l’insurrection, dans les mines et les collines, pour une bataille que l’on espère finale. Martial et magnifique.


Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne,
Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme !
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes…


La copie d’Emmanuel d'Astier de La Vigerie et d’Anna Marly est plus noire. Elle nous plonge dans les années de plomb, le temps des réseaux esseulés, décimés par les dénonciations, la torture et un combat par trop inégal. Unique rescapé de la dernière rafle, son partisan est seul. Comment ne pas désespérer ? Les nazis triomphent sur tous les fronts. Le rythme est lent, lancinant, psalmodique, hypnotique. La mélodie revient inlassablement sur les mêmes accords, les jours se suivent et se ressemblent, la mort rode et frappe.


Les Allemands étaient chez moi,
Ils m'ont dit « Résigne-toi »,
Mais je n'ai pas peur
Et j'ai repris mon arme.


Notre résistant fanfaronne, il connait la peur, mais parvient, encore, à la vaincre. C’est le propre du héros, un héros inconnu, réduit à une silhouette entraperçue et à cette voix d’outre-tombe. Souvenez-vous de L’Armée des ombres. La complainte connut moins de succès que le chant de Kessel. La France préférait exalter ses héros triomphants.
Léonard Cohen l'exhuma.


Freedom soon will come
Then we'll come from the shadow.


https://www.youtube.com/watch?v=S34cVkL6zCE

SBoisse
10
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le 31 août 2017

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Step de Boisse

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