Zoopolis
7.9
Zoopolis

livre de Will Kymlicka et Sue Donaldson (2011)

Ça y est, voici venir la Véganie. C’est bien beau mais comment on fait, théoriquement ? Comment définir nos nouvelles relations avec les animaux (si on décide d’avoir des relations avec eux d’ailleurs) ? Comment construire une société progressiste et juste pour tout le monde ?
Terminée la dichotomie domestiqué/sauvage, les auteurs introduisent une 3ème catégorie d’animaux que sont les liminaires: ceux qui vivent en bordure ou dans nos villes, évitant la plupart du temps le contact mais vivant en relative symbiose avec l’environnement humain, pour des questions de praticité ou de sécurité (souris, rat, ours, coyote, oie, cerf…)
Les auteurs appliquent la théorie de la citoyenneté à ses trois classes identifiés d’animaux, pour définir de façon très précise et théorique nos devoirs dans un monde (utopique, si vous voulez vite fait mon avis) où on traite les animaux comme des sujets et non comme des objets au service de nos fins. Ça donne donc en synthèse :
- Les animaux domestiques sont dépendants et méritent un statut de concitoyens, au sein d’une société mixte humains-animaux.
- Les animaux liminaires sont légitimes et méritent un statut de résidents (en analogie avec le statut du migrant pour les sociétés humaines)
- Les animaux sauvages sont souverains en leur territoire et ils méritent d’être perçus comme des communautés souveraines, sur lesquels on peut avoir une impact positive mais limitée, et toujours très circonstanciée.
Ce que j’ai aimé dans cet essai :
- la rigueur de l’analyse, qui n’a pas peur de décortiquer en profondeur des théories sur la citoyenneté humaine qui ne m’avait jamais interpellé. L’ouvrage est très référencé, propose toujours un état de l’art sur le sujet, en exposant à chaque fois la théorie ‘classique’ des droits des animaux, pour en montrer les forces et les faiblesses formelles ou morales.
- un traitement des situations qui n’ignore pas la complexité des cas et ne verse pas dans l’angélisme : il y a notamment tout une mise au point sur la consommation des oeufs de poule et de la laine qui me semble pleine de bon sens, malgré le discours très souvent entendu du « si tu manges un oeuf de poule ‘libérée’, t’es pas vegan, encore moins antispéciste ». Les auteurs prennent le temps de démontrer que les inter relations humains/animaux auront lieu de toute manière, au même titre que des animaux de race différentes cohabitent et/ou se croisent dans leur milieu sauvage, et en trouvant des bénéfices mutuels à cette relation. Sur la question de l’abolition des animaux domestiques (belle vie pour les survivants mais stérilisations systématiques pour éteindre les espèces en question : rejeté en bloc par les auteurs), ils montrent notamment que ce serait ajouter de l’injustice à l’injustice originelle que de « vivre et laisser vivre » ces animaux sans notre assistance. Que c’est aussi une façon de se dédouaner de nos responsabilités particulièrement forte sur cette classe d’animaux réduite en esclavage. S’il est bien sûr souhaitable et même impératif de libérer les animaux domestiques de notre joug, nous sommes aussi des animaux ; et à ce titre interférer avec des communautés d’animaux, est naturel et même normal. A plus forte raison quand ces animaux sont incapables de survivre sans l’homme. Ainsi dans le cas de l’oeuf de la poule libérée, ou même de la laine du mouton libéré (qu’il aura fallu tondre de toute façon), les auteurs ne voient pas de problème à profiter de ces deux produits ‘accidentels’, dans un cadre évidemment strict, non systématique et non consumériste. C’est une idée qu’on entend peu en Véganie et que je trouve raisonnable (et que j’explique très mal…).
Quelques (petits) bémols :
- les situations proposées étant à des années lumières de ce que nous connaissons, certaines propositions m’ont semblé à l’inverse improbables ou irraisonnables, voire grotesques : munir les chats de clochette pour les empêcher de chasser par exemple. Si on a des devoirs de protection envers lui, lui n’en a pas envers les autres animaux il me semble, mais j’ai peut-être zappé un argumentaire. De manière générale tout ce qui permet à l’humain de contrer la nature des animaux au profit d’un autre me semble absurde et contre productif, et même teinté d’une forme de sentimentalisme mal placé.
- Quid de certaines situations qui ne sont pas abordées, comme les animaux domestiques qui ne peuvent pas mettre bas naturellement ou souffrent de problème de santé inhérent à leur génétique trafiquée ? J’ai été un peu sur ma faim sur la question des animaux domestiques, le projet en théorie est plaisant, mais ne m’a pas semblé viable.


Il faut avoir en tête que Zoopolis est une ‘théorie politique des droits des animaux’, on peut y lire un côté utopiste où en définitive, l’application stricte de son contenu créerait un cadre juridique et moral bien supérieur à celui dont les humains profitent actuellement (je pense notamment à la situation catastrophique de beaucoup de migrants ou encore à l’inégalité des chances pour les personnes handicapées, qui sont deux populations humaines avec lesquelles l’essai produit des analogies). Vu la situation imparfaite des droits humains sur cette belle planète, on ne peut s’empêcher de sourire devant des propositions faussement candides mais qui ont le mérite d’être assénées noir sur blanc, dans un souci de démonstration.
Voilà, cette critique part dans tous les sens, c’est vraiment un essai dense et précis, qui peut sembler aride dans sa forme (peu d’anecdotes ou d’illustrations du propos) mais qui a le mérite de poser les questions auxquelles personne n’ose se confronter : comment bâtir de nouvelles relations (ou non relations, là est la question) avec les communautés animales, dans une société antispéciste ? Une somme de pensées précieuse et fondatrice pour la suite des réflexions.

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le 10 janv. 2019

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