Tous les fans de Michael Connelly s'accordent à dire que l'auteur a perdu de sa superbe depuis le milieu des années 2000, et ce roman ne va malheureusement pas améliorer les choses. Depuis toujours, l'écrivain a eu l'habitude de diviser son œuvre en sous-séries, avec un héros pour chaque corps de métier : Harry Bosch pour les flics, Jack McEvoy pour les journalistes, Terry McCaleb puis Rachel Walling pour les profilers du FBI, et plus récemment, Mickey Haller pour les avocats de la défense. Avec ce nouveau roman, Connelly choisit de ne pas choisir, et il divise l'intrigue en deux histoires parallèles où se succèdent chapitre après chapitre Harry Bosch et Mickey Haller.

Pourquoi ces deux personnages et pas deux autres ? Si vous avez lu "Le Verdict du Plomb", vous savez qu'ils sont demi-frères, mais depuis cette grande révélation, ils se sont perdus de vue malgré les efforts répétés de Mickey pour nouer des liens entre leurs deux familles éclatées.

Dans "Volte-face", l'avocat sans bureau fixe se voit proposer une mission pour le moins surprenante : devenir procureur le temps d'un procès ultra-médiatisé ! Il s'agira à cette occasion de rejuger un homme, répondant au nom de Jason Jessup, qui a purgé 24 ans de prison pour l'enlèvement et le meurtre d'une adolescente en 1986. Contre toute attente, Haller va accepter de passer de l'autre côté de l'allée centrale, et pour parvenir à ses fins, il va faire appel aux talents d'enquêteur de son demi-frère…

Sur le papier, cette association avait de quoi faire rêver. Mais dans les faits, il s'agit d'un des romans les moins intéressants de Michael Connelly. Les interactions extra-professionnelles entre les deux demi-frères divorcés se comptent sur les doigts d'une main, et on devra se contenter d'un repas avec leurs filles respectives et l'ex-femme de Mickey, le reste du livre étant uniquement centré sur l'enquête. Comme je l'ai déjà dit lors d'une de mes précédentes critiques, Mickey Haller est un personnage antipathique auquel il est difficile de s'identifier, et les 23 chapitres à la première personne qui lui sont consacrés sont loin de rivaliser avec les 22 autres où l'on suit Harry Bosch dans son quotidien de vétéran du LAPD.

Néanmoins, il faut rendre à César ce qui est à César, et Michael Connelly a fait l'effort de simplifier tout le côté procédurier inhérent à un procès. Souvenez-vous des passages imbuvables de "La Défense Lincoln" et du "Verdict du Plomb", dans lesquels l'auteur décrivait un avec un sens du détail aiguisé le fonctionnement de la justice américaine : tout était fidèle à la réalité, mais bon sang ce qu'on s'ennuyait à leur lecture ! Dans ce livre, Connelly résume ou élude les étapes les moins intéressantes d'un procès, et cela rend son roman plus nerveux et moins rébarbatif. Mais comme je le soulignais plus haut, on s'éclate bien plus avec notre bon vieux Harry Bosch qu'avec l'insipide avocat incarné à l'écran par Matthew McConaughey.

Le vrai souci de ce roman, c'est qu'il est terriblement frustrant. Pendant un peu plus de 400 pages, on essaie tant bien que mal de s'intéresser à ce personnage qui a passé près d'un quart de siècle en prison, et tel un juré sans le moindre apriori, on écoute les arguments en essayant de peser le pour et le contre, au fur et à mesure que le procureur et l'avocat de la défense se succèdent à la barre. Et tout ça pour quoi au final ? Et bien je vous le dis, pour rien ! L'enquête et le procès ne débouchent sur strictement rien, et on ressort de ce livre avec l'impression d'avoir été tourné en bourrique par Connelly. Pourquoi Jessup sortait-il régulièrement de chez lui en pleine nuit pour aller s'asseoir longuement dans des parcs publics ? Aucune idée ! Pourquoi allumait-il des bougies lors de ces sorties nocturnes ? Aucune idée ! Etait-il coupable des crimes qui lui ont été reprochés ? Aucune idée ! Si oui, avait-il commis d'autres crimes similaires ? Aucune idée !

Michael Connelly a choisi de ne répondre à aucune question que se pose habituellement un lecteur de roman policier : il a posé toutes les bases, lancé plusieurs pistes, mais au dernier moment, il a fait basculer son intrigue pourtant assez mince dans le "tout action", un peu comme s'il cherchait à vendre les droits de son livre à Hollywood pour une future adaptation cinématographique… Certains y verront du courage et me diront que dans la vraie vie, les procès apportent parfois plus de questions que de réponses. Mais en tant que lecteur, quand je m'investis dans une histoire à suspense, je n'aime pas ressortir avec un tel sentiment de frustration une fois la dernière page tournée.

Cela étant, comme je le précise à chaque fois, Michael Connelly reste un bon écrivain dont le style clinique et sans fioritures fait toujours mouche. Il a certes quelque peu perdu l'inspiration des années 90, et la psychologie des personnages est bien moins creusée qu'auparavant, mais ses romans sont toujours haletants et agréables à lire. Sur le plan strictement littéraire, Connelly n'a toujours pas d'égal dans le domaine du roman policier et/ou judicaire, et aucun de ses contemporains ne possède le même sens du rythme. Le souci, c'est qu'il nous a longtemps habitués à l'excellence, et qu'aujourd'hui, on a bien du mal à s'enthousiasmer quand il se contente du minimum syndical, année après année.

Monsieur Connelly, reprenez-vous !
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le 19 août 2013

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