Le phare comme métaphysique de la vie

On ne va pas se mentir, la lecture de ce roman est d'un abord difficile. Une multitude de personnages sont réunis, le temps d'un été, dans la maison de vacances des Ramsay sur l'île de Skye. Rien de particulier ne s'y passe, juste le temps qui passe. Virginie Woolf nous immerge dans leurs flots de pensées, souvent décousues, qui vagabondent dans ce paysage estival, mais qui, comme les vagues parfois se rejoignent. Quant au phare, titre du roman, il reste un élément lointain, presque irréel, comme un horizon, dont on perçoit la présence mais que l'on atteint jamais.

Heureusement le récit se centre progressivement sur la personnalité de Mrs Ramsay, d'une incroyable beauté mais d'apparence si sévère et distante. On suit ses pensées qui, plus que le langage, parviennent à créer une unité, une continuité d'esprit avec son mari, ses enfants et les autres invités. On commence par être bercé par ce flot, cette imagination, le rythme libre des mots, et finalement nous voilà happé dans cette méditation.

Dans la première partie, Woolf explore les thèmes de l'enfance, du couple, de l'amitié et les relations sociales. Mais plus on avance dans le récit, moins la réalité devient tangible, plus l'irréel devient présent. Les souvenirs prennent davantage de place. Au lieu de redérouler le film exact du passé, Virginia Woolf nous montre ce mélange d'impressions diffuses, de sensations surtout. On se souvient moins des mots que des impressions qu'ils ont produites en nous. Plus le temps passe, plus les souvenirs prennent de place. Comment continuer de vivre dans l'absence ? Et ce phare, si loin, que l'on ne voit pas mais qui nous éclaire, et qui semble se rapprocher. La traversée devient finalement possible: elle devient un voyage spirituel, presque un rêve, une ouverture vers de nouveaux possibles. On découvre le mouvement subtil des choses, la portée symbolique des "choses muettes" et leurs pouvoirs transformateurs sur l'âme.

Deux citations:

"Although she [Mrs Ramsay] continued to knit, and sat upright, it was thus that she felt herself; and this self having shed its attachments was free for the strangest adventures. When life sank down for a moment, the range of experience seemed limitless." p.59 Penguin edition

"Often she found herself sitting and looking, sitting and looking, with her work in her hands until she became the thing she looked at—that light, for example. And it would lift up on it some little phrase or other which had been lying in her mind like that—“Children don’t forget, children don’t forget”—which she would repeat and begin adding to it, It will end, it will end, she said. It will come, it will come, when suddenly she added, We are in the hands of the Lord." p. 59-60