Il n'y avait probablement d'autre issue que la déception.
Une pâle et amère déception.
Pas la grande déception, non, la brutale, la sanguinolente, qui laisse ce savant goût de haine et d'inachevé, celle qui garde, quoi qu'on en dise, qu'on se l'avoue, un air bâtard de reviens-y. C'est la déception des grands jours, celle-là, maturée, travaillée, peaufinée. Presque aussi belle qu'une envolée. Elle construit son culte, fabrique son mythe.


Las non.
Sans l'ombre d'un doute. Une déception banale, humaine, bancale.


Parce qu'on y a cru. Parce que ça commençait fort, mon Dieu, ça caressait à rebrousse-poil un lectorat blasé des prescripteurs du jour suivant, des théoristes de l'inutile. C'était cru et c'était beau. C'était fouillé et ambitieux. Trop? On ne l'est jamais, trop ambitieux. Pas dans les livres en tout cas, quand on les fait. Pas dans la vie quand on y croit encore en prétendant borner son horizon au constat, quand on a le sang qui bouillonne à l'intérieur, à des lieues de toute résignation. A ce stade on n'osera parler d'humilité sans évoquer une grosse dose de talent mâtinée d'expérience.


Un uppercut.


Mais faut durer et c'est pas simple, diverger sans s'éparpiller. L'histoire d'un deuxième jet, moins vindicatif, plus abouti par bien des angles, condamné à la linéarité pour exister sans copier, être autre chose qu'un bis repetita. Inquiétant car moins crucial, en perte certaine d'essentialité, de prise réelle.


En pleine face le réel.


Le miroir est cassé.


C'est comme un grand retour mais c'est surtout la purge d'un trop plein d'empathie incontrôlable. Plus moyen de (se) mentir, de feindre l'indifférence, l'observation bébête du vilain monde, comme si dedans on n'y était pas, comme si l'emprise n'était que feinte, médiatiquement dessinée, libres les penseurs et les extravagants. Que nenni, c'est l'overdose et la peinture extrême, démesurée, de la fin du monde.
Et sous tes pieds s'effondrent. Et sous tes pas plus rien. Toute une communauté qui se perd en utopie foireuse à tant vouloir s'écrire. Comme ce bouquin bizarrement métaphorique, fil rouge biographique du défunt Alex Bleach dont on ne verra jamais le bout, qui terminera en artefact téléviso-religieux, mal dégrossi mais exploitable, bible au rabais pour consommateurs en mal d'idées. Va savoir ce qu'il aurait valu. S'il avait valu.
On en perd le réel. Les destins s'égaillent, d'autres naissent sans structure (chère, très chère Solange), prétextes à scénarios, jubilés gauches pour saltimbanques maladroits. Les destins se diluent, perdent pieds, noyés jusqu'à ne plus être que bouillie informe dans une violence nommée - bien concrète, elle, palpable, voisine. Violence de tous les jours, violence de 2015, violence de 2016. C'est le roman du jour d'avant, de l'immédiat craché sur manuscrit. Numérique.


Catharsis.


On se dit alors que Despentes est aussi proche de Balzac ou Dostoïevski que Kerouac a pu l'être de Proust. L'ambition conditionne, le talent apprivoise mais l'instant présent marque de son sceau impalpable la moindre ligne grattée par ces êtres trop vivants pour attendre, trop empathiques pour accepter.
C'est une ruée dans les brancards, une rage intacte et une foi infaillible. Une volonté d'être autre chose qu'une conteuse, une fresque décharnée, empiétée ci et là, incomplète, brute, étrange.
Décevante évidemment car l'espoir était grand, immense. Car on attendait plus que l'Homme. Car on attendait des réponses et qu'on n'en aura pas. Peut-être qu'elles n’existent pas.

-IgoR-
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le 11 juil. 2017

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-IgoR-

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