Il existe un rôle que j’incarne rarement, un rôle qui m’a conduit à écrire cette chronique : celui de lecteur désœuvré. J’ai une PAL (Pile A Lire) immense mais, parfois, aucune envie de m’y plonger. Je me retrouve donc sans bouquin, errant dans les méandres de la médiathèque de ma ville. Puis je me suis dit : je n’ai qu’à prendre le premier roman, le premier rangé à la lettre A. J’aime bien ce genre de petit jeu, laisser le hasard choisir… J’empruntais donc *Une Affaire conjug*ale. La joliesse de la couverture, avec *Le Baiser* de Klimt, me rassurait un peu même si la seule phrase figurant au dos du bouquin ne disait que peu de choses :

« Pour bien faire les choses, il faudrait commencer par divorcer. »


  Sincèrement je me suis plongée dans ce roman avec toute l’innocence du monde, prête à la découverte, ravie même de ne rien savoir du livre que j’avais entre les mains. Très vite j’ai compris devant quoi je me trouvais : un genre d’autofiction, donc avec une narration à la première personne. L’héroïne nous raconte son divorce. Un divorce aussi violent que ses désillusions. Alors je n’ai rien contre le récit intimiste sauf que c’est toujours une grande prise de risques. La première personne nous piège dans une vision du monde unilatérale et seule la possibilité d’une certaine lucidité du narrateur permet de prendre du recul sur l’histoire.
Pour que le roman de madame Abecassis me touche, il fallait, logiquement, que l’héroïne, cette fameuse narratrice, parvienne à ce que je m’attache à elle. Or Agathe m’a semblé insupportable ! Du début à la fin... Dès l’incipit elle fait des déclarations contestables pour ne pas perdre son aura de perfection : « Il n’y a pas de vol entre époux ». Parce que la pauvre crochète la porte du bureau de son mari pour confirmer qu’il est infidèle… Agathe en profite alors pour commencer les généralisations : « L’amour est fragile. Avec l’ère technologique, il est devenu impossible. » Et j’ai compris que de recul il n’y en aurait point ici... Car le mari a tous les défauts, tous les vices : il est alcoolique, il se drogue, il la trompe et pour se faire prend même un cousin du viagra ! La narratrice déroule l’histoire de son couple et on comprend qu’elle n’a jamais été heureuse. Il vit à ses crochets, fait preuve d’un égoïsme d’une constance admirable et leur vie sexuelle est d’une tristesse affligeante. Bref dès les premières années de leur mariage, elle est malheureuse. Là encore elle généralise et tombe dans le sexisme le plus ridicule. Ainsi elle explique que très vite Jérôme ne l’écoute plus et elle évoque alors un « … autisme marital (maladie propre au genre masculin, qui se contracte après les noces, et s’aggrave après la naissance des enfants. » page 37
Je crois que c’est à ce moment-là précisément que j’ai compris que je détestais cette héroïne. Presque autant que celle-ci haïssait son mari. Cette Agathe qui a provoqué mon agacement m’a rappelé quelque chose. Je me souvenais d’un autre bouquin dont la narratrice m’avait fait la même impression. Je posais donc *Une Affaire conjugale* pour vérifier dans les méandres de CulturoVoraces… Et là… Et là ami-lecteur, je découvrais qu’effectivement ce n’est pas le premier ouvrage d’Eliette Abecassis que je lis. En mai 2012, j’avais effectivement lu *Un heureux Évènement* et l’avais chroniqué, lui donnant la note de 6,5. Sur 20.
Pas de suspens ami-lecteur, la suite de ma lecture ne m’a pas apporté de bonnes surprises. Agathe est restée le même personnage insupportable que j’avais découvert au début. Sincèrement la naïveté d’Agathe j’aurais pu la supporter. Son amertume aussi. Du moins en partie… Mais ce sexisme… La narratrice qui évoque pourtant plusieurs fois le féminisme semble mettre tous les hommes dans le même panier. Pire elle a une vision globale elle-même sexiste quand elle parle du fait qu’elle payait tout quand ils sortaient ensemble : « Je ne me rendais pas compte qu’insensiblement j’avais pris aussi le rôle de l’homme. » page 75. Ou plus loin : « Inconsciemment, j’avais compris sa vénalité, et je l’avais exploitée pour le retenir. Et, tragiquement, en le gagnant, je le perdais : car je le dominais, je m’attribuais les apanages du pouvoir, de la puissance, et je le castrais davantage. Notre rapport à l’argent en tant que couple disait que j’étais l’homme et qu’il était la femme. Les rôles s’étaient inversés. Symboliquement, sa bourse était vide. Il puisait dans la mienne. Le couple allait inexorablement à la faillite ». Page 150
Tout au long du bouquin, on assiste à la colère d’Agathe, à l’égoïsme de Jérôme et à la machine du divorce qui broie tout sur son passage. C’est long, c’est chiant, c’est vain. Pas de recul, pas de vraie évolution des personnages au-delà de la perte de toutes les illusions. La fin frise même le ridicule. Pas un instant Agathe ne sort de son rôle de victime amère… Et surtout, pas un instant je n’ai eu d’empathie pour elle. Et ça, ami-lecteur, ça craint…
A la fin du roman, madame Abecassis semble se justifier quand, lors d’un entretien avec une psychiatre, le médecin explique à l’héroïne que son ex-mari serait un pervers narcissique. Alors deux choses me gênent dans ce procédé. Déjà il me semble un brin sortir du chapeau, si Une affaire conjugale a pour sujet central la relation d’une femme avec un pervers narcissique, pourquoi ne pas mieux expliciter le mécanisme de manipulation ? Or on a l’impression que c’est l’amour qui a surtout aveuglé Agathe… Bref l’autrice n’a pas, me semble-t-il, construit son histoire autour de cela. Enfin, et là c’est plus mon opinion qui entre en compte, j’ai du mal avec cette psychiatre qui semble poser un diagnostique sans avoir rencontré le dit pervers narcissique. Diagnostique d’un concept flou et qui, rappelons-le, n’est pas un trouble clinique reconnu et n’a, de ce fait, aucun cadre légal. De manière encore plus personnelle, s’il m’est arrivé à moi aussi dans une conversation d’utiliser ce terme, je trouve quand même qu’il est désormais usé jusqu’à la corde. Comme si, désormais, c’était la formulation fourre-tout pour les gens « méchants », une manière facile et rassurante d’étiqueter ceux qui font du mal à autrui.
Cette seconde lecture d’un ouvrage de madame Abecassis confirme ce que j’ai pu penser de sa plume la première fois. Si elle écrit bien, son univers ne me convient pas. Je n’aime pas les personnages qu’elle dépeint et je trouve qu’elle manque de subtilité. Cette fois je n’oublierai plus son nom afin d’éviter, dans dix ou vingt ans, de la relire sans faire exprès...
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le 16 févr. 2022

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