« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »

« Seulement, ce soir-là, il ne fumait pas un cigare : il fumait une cartouche de dynamite. Ce que Delphine et Saucisse regardèrent comme d’habitude, la petite braise, le petit fanal de voiture, c’était le grésillement de la mèche. Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers. Qui a dit : “Un roi sans divertissement est un homme plein de misères.“ ? »


Ces quelques phrases, les toutes dernières de Un roi sans divertissement, me hantent depuis trente ans. Nous sommes en 1947, Jean Giono abandonne le style pacifiste, humaniste et pastoral qui a bâti sa notoriété. Le capitaine de gendarmerie Langlois est envoyé dans le Vercors enquêter sur une série de crimes. Il se met en chasse, identifie et exécute M. V. d’une décharge de ses pistolets. La méthode est expéditive. Il démissionne et revient en tant que commandant de louveterie à Chichilianne. Langlois parle peu, mais sait se créer de rares amitiés, dont le procureur du roi et quelques femmes. Exigeant et entreprenant, il transmue une battue en cérémonie qu’il conclue en tuant un grand loup à bout portant, comme il avait abattu M. V. Langlois fait bâtir une maison et se marie. Point de romantisme en l’affaire, la promise est choisie par son amie et ancienne mère maquerelle Saucisse. Il se décrit, lors d’une de ses rares confidences, comme un loup solitaire, luttant « pour arriver à survivre dans les étendues désertes et glacées ». Sous un prétexte futile, il se glisse dans le salon de V. et y médite longuement. Il égorge une oie et reste, interdit, face à la tache de sang sur la neige, puis se tue.


Le lecteur et ses amis n’ont rien vu venir. Que penser d’une amitié incapable de prévenir ou même de pressentir un suicide ? Insondable mystère que celui d’un homme supposé proche. Le policier a-t-il été fasciné par le tueur qu’il traquait ? Par le magnétisme de la cruauté. Le thème sera repris par nombre de scénaristes.


Reste la conclusion. Chez le moraliste chrétien Blaise Pascal, le divertissement et ce qui, en l’absence d’union à Dieu, rend la vie supportable. L’homme se perd, par exemple, dans le jeu de balle, pour oublier sa triste condition mortelle. La même proposition chez le païen Giono prend une forme désespérée. Pour se protéger de la perversité du mal, la société fait de M. V. et Langlois des monstres asociaux. Pourtant, Langlois était un « homme comme les autres » qui, « plus que les autres », s’ennuyait…

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le 19 sept. 2015

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Step de Boisse

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