La philosophie est friande de désaveux, de controverses, de retournements de vestes et de réfutations. Ainsi, on peut comprendre qu'une oeuvre reniée par son propre auteur soit appréciée.
Par ailleurs, il convient, au sein de ce monde étrange tiraillé entre ses attributs littéraires et ses origines scientifiques, de toujours proposer une avancée, si minime qu'elle fut, là où l'on ne peut réellement fournir d'énoncé théorique.
On ne lirait pas Nietzsche ou Whitehead si l'on exigeait du philosophe que son propos soit toujours régulier.

Un premier problème avec le Tractatus, c'est que sa forme évoque au premier abord un recueil de blagues. Quoiqu'on soit habitué aux aphorismes en philosophie, on doute de la pertinence d'une assertion comme "ce dont on ne peut parler, il faut le taire", excepté pour marquer toute une génération de suiveurs du sceau de la pédanterie.
Mais il serait trop commode de s'attaquer à l'aspect le plus célèbrement énigmatique de ce court traité et d'en rester là. Certains voient là le "mysticisme" de Wittgenstein, on y voit cette image navrante du philosophe qui se vante de rester incompris auprès de ses directeurs de recherche à Harvard. Et ces pauvres pépères de considérer qu'ils ont affaire à un génie...

Un autre problème, que l'on rencontre dès le titre de l'ouvrage, réside simplement dans le positivisme logique, soit un appauvrissement total de la philosophie dans lequel le Cercle de Vienne s'engouffrera comme dans une porte ouverte sur un retour à la théorie de la terre plate.
On est en 1921, la crise des mathématiques habite encore les esprits, et Russell a besoin d'un successeur depuis que Whitehead a renoué avec la métaphysique.
-Pas de problème, ce jeune et fringuant intriguant fera bien l'affaire avec son traité. D'ici que quelqu'un y saisisse quelque chose, je serai loin, et mon logicisme aura fait date.

Enfin, pour mieux saisir l'insondable et vertigineuse ignominie que nous inspire cet ouvrage, laissons nous aller à ce constat amer : il parait inconcevable aujourd'hui de passer à côté de Wittgenstein, qui est même inscrit au programme des classes de terminale ; seulement, pour un esprit aiguisé comme pour un novice, le Wittgenstein du Tractatus recèle tout ce que la philosophie a de sinistre : l'hyper individualisme du chercheur, l'inintelligibilité outrancière, l'aridité thématique...
Bien dommage d'ailleurs, quand on connait l'intérêt que peuvent représenter les Recherches Philosophiques, qui se singularisent au contraire par une richesse très différente.

En conclusion, et dans le but de ne pas afficher une rancune trop rigide à l'encontre de ce Ludwig tant adulé, je me permets à mon tour sept aphorismes, certes rédigés sous le coup d'une logique beaucoup plus personnelle :

1.Le Tractatus logico-philosophicus, sous couvert d'une volonté de clarifier le langage, ne parvient qu'à l'embrouiller.
2.Le formalisme du langage voulu par le Cercle de Vienne n'y est toutefois pas présent.
3.L'axiomatique n'a pas beaucoup évolué depuis Aristote.
4.On lira donc plutôt Aristote.
5.L'abécédaire de Deleuze présente un point de vue intéressant quoique peu argumenté sur la question à la lettre "W" http://www.youtube.com/watch?v=NgG00VZGP0E
6.On ne sera pas aussi catégorique que 5., même si on tendra à mépriser un peu de la même manière la tradition analytique.
7.L'aphorisme 7.
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le 3 juil. 2014

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le 8 juil. 2014

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