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The Secret Footballer
6.4
The Secret Footballer

livre (2012)

Well, who are you ? I really wanna know…

C'est presque un réflexe pavlovien. Ainsi pour tous les "mordus" de sport (collectif de surcroît), cela consiste entre le vendredi et le dimanche soir (y ajouter le mardi et/ou le mercredi en cas de joutes européennes) à consulter le même site. Pour les plus "anciens", cela consiste (consistait?) à ouvrir le même canard, que ça soit au kiosque, dans le train (si, si c'est le meilleur quoique le plus "coupable", celui abandonné par son acquéreur en l'occurrence), dans l'avion, au bar...en somme avant même d'aller consulter le site officiel du club, tous ont donc ce même réflexe, celui d'aller consulter "L'Equipe" pour voir les résultats, les réactions, les notes.

Communion, mimétisme donc dans les comportements mais surtout paradoxe. Paradoxe donc dans la patrie d'Albert Londres de ne recenser qu'une seule "voix" quand il s'agit de la diffusion, du traitement, de l'analyse des résultats sportifs. On passera sur comment ce monopole a pu être possible (ex: torpillage en règle et pression sur d'éventuels concurrents notamment). Néanmoins, ce cavalier seul a un côté frustrant, surtout pour ceux qui ont pu voyager. Attention nul besoin de traverser multiples fuseaux horaires! On peut citer par exemple côté germanique "Bild" ou "Sport", de l'autre côté des Alpes "Corriero dello Sport" ou "La Gazzetta dello Sport". Et comment ne pas évoquer la mauvaise foi madridiste de "As" ou catalane de "El Mundo Deportivo". De la passion certes, de la mauvaise foi aussi (et surtout du parti pris navrant par moment) mais une pluralité bienvenue au moment de se forger une opinion.

Outre-manche, la presse sportive a cela de particulier qu'elle est incluse dans les quotidiens. C'est un peu une sorte de journal dans le journal. Un peu comme si "L'Equipe" s'invitait dans l'un des nombreux quotidiens français. Non pas que les quotidiens français ne brillent par leur analyse sportive (encore que). Mais la presse outre-manche a le mérite de laisser s'exprimer des "anciennes gloires" du football. Pêle-mêle, on peut citer Alan Shearer ou Tony Cascarino. Point d'envolées lyriques ni de circonvolutions. Juste une analyse concise, pragmatique et une interpellation franche aux moments d'évoquer certains sujets.

Du coup, c'est avec beaucoup de surprise que j'ai découvert, en 2012, dans un article paru...dans "L'Equipe" (comme quoi...), le retentissement que provoquait les chroniques griffonnées par un chroniqueur dans "The Guardian". D'une part, celui-ci ne dévoilait pas son identité, signant chacune de ses chroniques par un troublant "The Secret Footballer". Et quand on connaît le penchant de nos voisins british pour spéculer, parier, les paris allaient bon train sur l'identité du chroniqueur. Un site se permet même de compiler d'éventuels indices et donc de dégager un certain nombre de joueurs susceptibles d'être l'auteur de ces papiers. D'autre part, et c'est le plus original au final, l'auteur le souligne sans ombrage: en prenant des exemples très récents, en parsemant ces chroniques d'anecdotes précises, il se distingue de ces confrères...puisque l'auteur est encore en activité!

Point de portrait à charge, ni d'ego trip dans cet ouvrage. En proposant un point de vue franc, d'une inquiétante lucidité et distanciation par rapport à son statut, on suit le quotidien d'un footballeur. Bien sûr cela pourrait se résumer à "taper dans un ballon". En parlant de son "métier" et donc des implications inhérentes à ce "métier", le joueur propose une vision qui sort des standards actuels lorsque l'on évoque la vie de sportif: pas de victimisation, pas de moralisation ni même de relativisme. Le joueur est conscient des enjeux financiers, carriéristes et sportifs de sa carrière. En le mettant en parallèle avec des exemples plus ou moins récents, il ne tombe pas dans le "il ne faut pas" ou le "contrairement aux autres je n'ai pas fait". Réflexe de défense de "caste" certes mais mise en exergue d'une certaine humanité dans un marché qui essore littéralement ceux qui participent à sa notoriété. L'originalité de cet ouvrage réside aussi dans l'évocation d'un pan plus méconnu au moment d'évoquer le destin de sportif de haut niveau. En parlant d'usure mentale (plus que de la sacro-sainte maxime de la mentalité de "winner" ou du "fighting spirit" british), de déboires psychologiques, l'auteur s'aventure dans des contrées méconnues du lecteur et/ou du grand public: celui de la culpabilité d'exercer son métier quand la société stigmatise les sommes engrangées par ces joueurs ou la facilité déconcertante avec laquelle ils grossissent leurs comptes en banque, celui du dégoût d'un métier fantasmé par tous mais qui se révèlent bien superficiel. Point de misérabilisme mais une vraie immersion dans la gestion de carrière d'un joueur. Le focus sur le suicide de Gary Speed (ancien joueur et sélectionneur du Pays de Galles au moment de son décès) semble avoir marqué l'auteur (et bon nombre de joueurs) et vient souligner la relative solitude du sportif de haut niveau dans la gestion des hauts et des bas.

L'attrait de cet ouvrage tient aussi dans une sorte de prolongement d'arguments avancés, plus ou moins argumentés et soutenus par les suiveurs du ballon rond et/ou ses détracteurs. Bien sûr dans un championnat, la Premier League, où le salaire (hebdomadaire) des top players équivaut à plus ou moins 400 K £, où le libéralisme s'étend jusque dans la définition des relations entraineur/entraînés, il n'est pas étonnant de voir naître joueurs endettés, joueurs ruinés, joueurs complètement déconnectés de toute réalité et "entretenant" une cour. Ceci n'est pas une généralité mais résume entre autre le quotidien d'un certain nombre de joueurs. La valeur ajoutée de "The Secret Footballer" tient dans les explications avancées: profil psychologique naïf voire puérile, prépondérance nocive des fameux agents et famille (femmes ou "WAG" pour Wife And Girlfriend, maîtresse, parents, "parents"...), carrière basée sur la recherche du contrat juteux (entendre par ici le plus rémunérateur qu'importe le nombre de contrats/clubs enchaînés pour parvenir à ce "graal"). A cela il faudrait y ajouter (et c'est assez nouveau), le raisonnement du joueur qui loin d'être cette "marchandise" déplacée au gré des sommes en jeu peut tout aussi influencer la décision. L'émergence des données statistiques au moment du recrutement d'un joueur est su de tous. Il suffirait donc de "gonfler" ces statistiques pour accroître la probabilité d'être vu, aperçu et donc in fine de faire monter les enchères. Cette volonté carriériste (au détriment parfois du talent et de la constance des performances), cette soif de gloire semble, selon son auteur, tout sauf un vœu pieux. Qu'importe si cela implique de se mettre à dos coéquipiers, entraîneurs ou de forcer le trait auprès de la presse (le fameux "je-veux-partir-mais-mon-président-ne-le-souhaite-pas").

Et ce tableau décrit par le joueur a encore plus de saveur si on le place dans le cadre où évolue le joueur. En effet, l'auteur évolue dans la patrie des joueurs invétérés de poker en ligne, avides de paris stupides (ex: l'auteur raconte que des joueurs pariaient et gagnaient sur le fait que, lors du coup d'envoi, le 2ème joueur mettait automatiquement en touche le ballon), des acheteurs compulsifs, des pratiquants d'orgie lors de mise au vert (ou pire lors de la cruciale période du "Boxing Day"), des joueurs aux profils psychologiques aussi variés qu'inquiétants, aux pratiques extra-sportives aussi puériles que dangereuses (l'auteur se souvient d'escapade en avion aux Etats-Unis en pleine semaine avant de rentrer pour disputer dans la foulée une rencontre en Angleterre). Mais aussi un championnat où les légendes sont souvent déchues (ex: Paul Gascoigne ou Brad Friedel obligé de jouer malgré son âge avancé). Bien sûr cela n'est pas propre au championnat anglais. Tout au plus, on pourrait arguer que cette "chute" est plus rude pour les joueurs issus de culture anglo-saxonne (l'exemple le plus parlant étant le pourcentage de joueur NBA ruiné après avoir vécu un train de vie plus que décadent). Néanmoins, "The Secret Footballer" a le mérite de dresser un bilan sans concession de ce qu'est être un joueur de football au XXIème siècle. Point de leçon donnée, ni de parti pris, juste le (triste) constat de joueurs plus enfants aux responsabilités et rémunérés comme des chefs d'entreprise.

Avec un 2ème tome sorti depuis et un succès loin de se tarir, le succès du "Secret Footballer" est tout sauf usurpé. En tentant d'expliquer, sans se justifier, en démontrant plus qu'en assénant des jugements hâtifs, on comprend tout de suite que l'auteur ne tombe pas dans une certaine forme de sensationnalisme. De plus, en évoquant des sujets plus ou moins tabou (ex: dépression nerveuse, importance de l'enchère et des chiffres autant financier que sportif) et venant mettre en porte-à-faux bon nombre d'inexactitudes ou au contraire les confirmer, "The Secret Footballer" permet de décrypter (avec humour, mordant et un recul étonnant) le quotidien qui rythme un footballeur. De quoi comprendre du coup tout l'engouement outre-Manche (et donc...les paris!) à essayer de deviner l'identité du mystérieux "Secret Footballer".
RaZom
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le 17 janv. 2015

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RaZom

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