La sortie du pitoyable film de Darabont pourrait avoir au moins un avantage : permettre de redécouvrir cette longue nouvelle, d'abord sortie en France sous le titre Brume en 1987, mais écrite en 1976 (selon les propos de King lui-même).
Et Brume, c'est un petit bijou.
Une quarantaine d'individus sont enfermés dans un supermarché par une brume étrange et surnaturelle qui a envahi tout le paysage. Et surtout par ce qui se trouve dans la brume.

D'emblée, King parvient à nous inquiéter alors que rien n'a encore vraiment commencé. Après un tempête, le narrateur voit la brume se répendre sur le lac. Rien de dangereux alors, un simple banc de brouillard, mais la façon qu'il a de décrire le phénomène en fait déjà un objet d'angoisse.
Et l'angoisse ne nous quittera pas. Car s'il y a bien deux ou trois passages un peu plus violents, l'essentiel de la nouvelle nous montre les réactions des naufragés du supermarché.
Comme souvent chez King, le fantastique sert de révélateur des pensées, des obsessions, des désirs et des délires humains. Et ici, on y a droit d'une façon assez mlagistrale. Il y a ceux qui refusent de voir la réalité en face et qui mentent aux autres (pensant surtout se mentir à eux-mêmes). Il y a ceux qui se croient les plus forts et poussent les autres vers une mort certaine. Il y a ceux qui préfèrent boire, espérant oublier ce qu'ils ont vu.
Et il y a ceux qui vont se révéler plus dangereux que ce qui est tapi dans la brume. Les fanatiques, les extrémistes aux discours délirants. King montre bien comment des propos qui auraient fait rire n'importe qui en temps normal peuvent regrouper des foules en cas de désespoir et de danger, quand la peur annihile les facultés intellectuelles, quand on ne peut plus prendre de recul, quand la réflexion n'est plus possible.
Et c'est ainsi que les humains eux-mêmes deviennent des monstres (selon l'idée directrice de l'ensemble de l'oeuvre de King, d'ailleurs) :
"Tous les visages se tournèrent vers nous et la rumeur des conversations mourut. La face de Norton était comme un vieux fromage. Les yeux noirs de Mme Carmody étincelaient. Ollie buvait de la bière. Bien qu'il fît plus frais dans le magasin, son visage était de nouveau silloné de coulées de transpiration. Les deux jeunes filles en chemise CAMP WOODLANDS se serraient l'une contre l'autre comme deux pouliches avant l'orage. Des yeux. Tand d'yeux. Je pourrais les peindre, pensai-je avec un frisson glacé. Pas de visages, seulement des yeux dans l'obscurité. Je pourrais les peindre mais personne n'y croirait."

Il y a quelque chose dans cette nouvelle qui rappelle Richard Matheson. On sait que King est un admirateur du grand romancier (qui ne serait pas ?), et Brume rappelle fortement certains textes. On y retrouve aussi l'ambiance parano des épisodes de La Quatrième Dimension (série dont Matheson fut un des inspirateurs majeurs).
Il faut dire que le propos est presque identique : la réaction de la population face à une situation extraordinaire qui les dépasse. Car la Brume est vite perçue comme un phénomène surnaturel contre lequel on ne peut rien. Un jeu cruel des Dieux, le retour de terreurs cachées (King cite une fois le nom de Lovecraft, une autre de ses inspirations importantes) depuis des temps ancestraux, tout y passe. Jusqu'aux expériences militaires qui auraient mal tourné.
Tout cela pour aboutir à une conclusion : on ne peut rien contre cette brume et ce qui s'y cache. L'humain est dépassé, il ne peut comabttre l'inconnu. Il ne peut même pas le comprendre. La seule chose qui lui reste, c'est tenter de survivre. De faire face et de s'adapter.
Le parallèle entre cette brume et les conséquences d'une guerre nucléaire est évident. La nouvelle est écrite dans un contexte où la Guerre Froide était encore d'actualité.

Il y a bien quelques maladresses dans le texte, mais cette nouvelle est un bel exemple de l'art du King. Et je ne vous parle même pas de la fin, qui est formidable.

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le 9 août 2013

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SanFelice

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