Soleil amer
7.3
Soleil amer

livre de Lilia Hassaine (2021)

Avis : Déception. J'avais feuilleté il y a quelques temps l'Oeil du paon, son premier roman, il m'avait paru pas mal. Mais celui-ci… Je me demande ce qu'il fait chez Gallimard (quoique, ils me déçoivent régulièrement), et encore plus dans la sélection du Goncourt. On commence avec les gros points noirs pour nuancer un peu.


Donc, déjà, la langue. Elle est utilitaire, la plupart du temps. Avec Lilia Hassaine, on a le teint cireux, on empeste l'alcool, on s'ennuie ferme, on est (souvent) suspendu aux lèvres, on arpente les rues, les voitures sont flambant neuves, on ressent une colère sourde, on rase les murs (avec Gillette ?) (bref vous avez compris, je vais pas tous vous les faire)…


Il y a beaucoup de clichés littéraires, mais si ce n'était que ça.. le fond aussi n'est qu'une esquisse grossière de ce que cela aurait pu être :l'Algérie fantasmée ressemble à une carte postale, (d'ailleurs ça aussi c'est un cliché : inception des clichés ?). On a souvent droit à des aphorismes simplistes. Par exemple, quand elle parle du deuil, elle dit "Au départ, on se représente la belle vie que le défunt a eue, on témoigne, on discourt, on pose. Mais quelques jours plus tard, il n'y a plus que la solitude et le manque". Ah, je croyais qu'après on écoutait « libertine » du Mylène Farmer, mince alors. Quand elle parle de l'immigration "Le projet des premiers HLM, c'était l'utopie du vivre ensemble, cette idée selon laquelle on mélangeait les cultures et les milieux sociaux.", on se demande si on ne lit pas le devoir d'un élève de troisième. Eh, elle risque pas de se mouiller, c'est sûr, mais bon, on lit un livre (pardon un roman) pas un article de Géo Ado. Attendez ne partez pas ! le pauvre Saïd (enfin, pauvre, vous voyez..), ben il est immigré, et qui dit immigré dit que « dans le regard des Français, il était l'immigré ; en Algérie, il s'en était aperçu au mariage de Maryam (mariage forcé de sa fille sinon, c'est pas drôle, hein, faudrait pas éviter les poncifs), il était aussi devenu l'immigré ». L'eau ça mouille, le feu, ça…Sans parler des impairs journalistiques, par exemple le mot « schizophrénie » pour parler d'une dualité. (je croyais qu'on la faisait plus depuis 2016, celle-là). On abime le « mobilier urbain » (IKEA : mobilier périphérique)
Les redondances et autres pléonasmes "Elle vit, regardant la lumière du soleil, le visage d'Eve". Ou encore « il claudiquait péniblement » (ah, je croyais qu'on claudiquait gaiement pourtant).


Bref, le gros problème, c'est que c'est une « oeuvre » impersonnelle. Rien ne se crée dans ma tête, parce que tout a déjà été dit. Autant d'émotion que devant un reportage. Elle aurait pu s'approprier ce sujet, en faire quelque chose d'inédit : une odeur étonnante, un comportement suffisamment imprécis pour qu'on soit troublé. Non, les personnages sont définissables par un ou deux adjectifs. Et pis c'est tout. Puis la lourdeur d'expliquer la symbolique de la chèvre de M. Seguin, quoi… Pareil, pour Gilbert, expliciter ce qu'il s'est passé avec Amir… Ben on avait compris, et je trouvais ça positif qu'elle mette sous silence (mais non, quelques pages plus tard, on sort le gros stabilo qui tache…)


Bon, maintenant, les points « positifs ».
Trois paragraphes sont bien écrits : le passage de Daniel et son grand-père, quand Nour découche avec son petit ami, quand Naja se rappelle sa mère. Ça fait 3-4 pages dans le livre. Je suis un peu dure. Disons que le récit gagne en intensité dans le dernier tiers, quand on se concentre sur la rivalité fraternelle (On peut y voir une relecture d'Abel et Caïn, sauf que c'est pas Caïn qui tue Abel, mais le destin. D'ailleurs Daniel mate sa soeur, quand Caïn embarque l'une des siennes pour l'épouser…Coïncidence ?). Mais même ces passages un peu plus prenant ne sont pas très bien écrits. C'est donc selon moi une ébauche de roman plus qu'un roman (Je pense qu'il aurait fallu gonfler ce dernier quart pour en faire la véritable histoire, et ne pas survoler le futur de chaque personnage, ce qui donne une impression de long épilogue).


Dernier point positif : L.Hassaine a l'intelligence de laisser évoluer ses personnages sans trop de jugement. le point de vue est omniscient, objectif. On peut y trouver une certaine froideur (certains chroniqueurs trouvent qu'on a du mal à éprouver de l'empathie pour eux). Je pense que ça vient du problème d'impersonnalité dit plus haut : si elle avait mis un peu d'elle dans les descriptions ou les personnages, le point de vue serait passé crème. Pour ma part, je trouve ça assez bien, de pas nous dire « tiens, lui c'est le méchant/ tiens, elle, elle est mystérieuse » : elle dépasse par exemple Delphine de Vigan sur ce point. Bon, le livre est quand même raté. Et finalement ce style simpliste, cette absence de style, même, n'existe-t-elle pas pour satisfaire le public, avide de textes qui « se lisent bien », au style « fluide », des « pépites » qui n'en sont plus vraiment tant elles pullulent ?
Donc le soleil est amer, ouais. Mais pas pour les bonnes raisons.

YasminaBehagle
3
Écrit par

Créée

le 9 sept. 2021

Critique lue 1.4K fois

1 j'aime

YasminaBehagle

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

1

D'autres avis sur Soleil amer

Soleil amer
Cannetille
7

De l'Algérie à la banlieue parisienne

Lorsqu’au début des années soixante, Naja quitte l’Algérie avec ses trois filles pour rejoindre son mari Saïd, ouvrier dans l’industrie automobile, son arrivée en France est un désenchantement. Leurs...

le 8 janv. 2022

1 j'aime

Soleil amer
YasminaBehagle
3

Meh

Avis : Déception. J'avais feuilleté il y a quelques temps l'Oeil du paon, son premier roman, il m'avait paru pas mal. Mais celui-ci… Je me demande ce qu'il fait chez Gallimard (quoique, ils me...

le 9 sept. 2021

1 j'aime

Soleil amer
Anormalienne
8

Chronique humoristique visant à dénoncer le manque de diversité des Grandes Ecoles (PAS 1er degré)

Ce livre emprunte son titre à un poème de Rimbaud, le très connu Bateau ivre dont je ne connais personnellement pas un vers. C’est très à la mode de faire ça (et je compte en faire de même pour mon...

le 13 juin 2022

Du même critique