Guillermo Arriaga est d'abord connu pour ses scénarios de films : Amours chiennes, Babel et Trois enterrements, notamment. Son œuvre de romancier n'est pourtant pas négligeable avec Le bison de la nuit et Le Sauvage, entre autres, d'une force brute impressionnante. Mais ce n'est rien comparé à la déflagration de Sauver le feu, un livre fleuve aussi monstrueux que la violence quotidienne au Mexique. "Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterais-je ? J’aimerais emporter le feu." La phrase de Jean Cocteau, citée en préambule du roman, donne le ton exact de ce maelström littéraire, de cette histoire d'amour improbable racontée au lance-flammes. Qui se lit aussi comme une sorte d'hommage révulsé au pays de l'auteur "divisé en deux : ceux qui ont peur et ceux qui ont la rage." L'idylle qui nait entre une chorégraphe symbole de la bourgeoisie mexicaine et un homme du peuple emprisonné pour avoir tué son père est de ces amours viscérales et intolérables pour la société, qui ne peuvent que consumer des vies, et pas seulement celles de ses tourtereaux damnés. C'est le point nodal de ce livre polyphonique qui suit les parcours de ses deux héros principaux, avec un léger décalage dans le temps, très troublant, entre les deux narrations. Mais le récit haletant, aux allures de thriller, nous offre aussi la confession du frère de l'assassin et une intrigue parallèle et néanmoins concomitante d'une vengeance en cours. Comme si cela ne suffisait pas, Arriaga entrelarde son roman de brefs textes, poétiques et/ou violents de détenus, sans que le lecteur n'y perde son latin pour autant. Le style de l'auteur est haut en couleurs et en douleurs, baroque, échevelé et souvent cru, avec la présence "grotesque" d'expressions anglaises régurgitées phonétiquement (ouatedefeuk). Sans conteste, Il faut féliciter chaudement Alexandra Carrasco pour la qualité de sa traduction, à l'aune d'un texte que l'on devine quasiment impossible à rendre avec toute sa puissance et sa verdeur originelles. Au fond, Sauver le feu est avant tout une tragédie romantique, aux allures shakespeariennes, mais avec des narcos, des corrompus, des privilégiés et des misérables qui s'affrontent sur fond de misère sociale et de violence endémique. Et sous la plume dévastatrice de Arriaga, c'est à la fois atroce et sublime. Un coup de maître qui fait passer les autres romans contemporains pour des bluettes inoffensives.


Je remercie NetGalley et les éditions Fayard.

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le 13 mars 2023

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