Le maillon fort et faible à la fois d'une histoire d'amour de toujours.

Entendons-nous: Roméo et Juliette est probablement le texte littéraire et théâtral le plus important de tous les temps, n'excluons toutefois ni L'Enfer de Dante, ni La Bible, ni le Dom Quichotte de Cervantès, ni les Fables de La Fontaine.
Mon analyse ne sera donc pas objective et consensuelle mais bien personnelle; et après?, n'est-ce pas ce que nous venons tous ici chercher, des avis personnels de lecteur? De quoi sert un énième éloge?
Je n'ai donc pas mis le 10 que l'on attendrait, et ce malgré les très belles adaptations cinématographiques (Zefferelli, Luhrmann) , musicales (et en particulier l'irrésistible Marche des chevaliers de mon bien-aimé Prokofiev ou le thème de Nino Rota pour le film de Zefferelli) et théâtrales. J'ai tenté d'être fidèle à mes impressions, mon ressenti passés de première lecture.


Représentons-nous ce qu'attend le lecteur qui aborde cette pièce qu'on lui a cité comme la plus belle histoire d'amour de tous les temps, car " for never was a story of more woe than this of Juliet and her Romeo", "Jamais histoire ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo".
On s'imagine un amour interdit, rendu plus beau par l'interdit. Un amour transcendant les êtres qui finira dans la mort de deux individus mais aussi dans la fédération des deux clans ennemis auxquels ils appartiennent. Beauté, sentiments, amour enfin. Mais amour pur.
Or si amour il y a effectivement, amour il y a sous toutes ses formes: filial, amitié jusqu'à la mort (Mercutio vous en dira tant), religieux, socio-politique (et ainsi universel) - ce qui jusque là ne fait qu'apporter un sérieux crédit à l'oeuvre - et... l'amour qui convient usuellement aux comédies shakespeariennes et non aux tragédies, un amour potache, un amour grivois, un jeu de sous-entendus graveleux qui détruisent les sentiments de la pièce dans la scène...1, de l'acte 1. Un humour hors de saison à l'image d'une des premières répliques: "To move is to stir, and to be valiant is to stand, therefore if thou art moved, thou runn'st away", S'émouvoir, c'est se mouvoir, et être vaillant, c'est rester ferme. Or, toi, si tu es ému, tu te mets à t'épancher". Cette remarque est à comprendre selon deux sens: le littéral: Quand on est courageux, on ne pleure pas mais toi, tu n'es pas courageux parce que tu pleures; le subliminal: Être vaillant, c'est savoir bander le plus longtemps mais toi, tu es du genre précoce. Voilà qui engage peu dans la suite d'une histoire d'amour que l'on voulait pure!
Soyons honnête et reconnaissons que c'est le propre du théâtre élisabéthain de mêler les genres, le noble et le vulgaire; c'est ce qui plaira tant à Hugo dans Roméo et Juliette pour le reproduire dans Hernani. Mais élisabéthain ou non, ce choix est perturbant car il force l'esprit le plus pur à envisager l'amour des protagonistes crûment, sous le signe du sexe et non pas uniquement celui des sentiments. Je me rappelle l'avoir étudié en classe, je me souviens de la question cruciale des lecteurs en herbes odieusement manipulés par cet ombrageux incipit: mais finalement, Roméo et Juliette.. Y baisent ou pas? Dommage!


Néanmoins 9 quand même pour le chef-d'oeuvre de Shakespeare car il a le mérite de se placer, sur-brillant dans une longue tradition mythologique et littéraire. Une tradition qui commence avec Pyrame et Thisbé, notamment chez Ovide, pour inspirer peinture, littérature et théâtre jusqu'au trop classique Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau puis ne plus devenir qu'une allusion ironique aux Métamorphoses dans la tirade du nez du Cyrano de Bergerac de Rostand. Shakespeare a réussi là où Maie de France et les conteurs italiens ont échoué avant lui: il a su moderniser l'histoire en troquant les personnages mythiques aux noms aujourd'hui improbables et peu engageants pour des personnages plus proches des spectateurs de son temps et qui d'une certaine façon conservent une actualité pour nous.


Roméo et Juliette sont partout: dans les marques de voitures, les films de Jet Li, les pièces de Victor Hugo, le Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, Hot Fuzz.... Preuve que cette pièce a dépassé ses modèles et n'a pas été égalé par des successeurs de tous les arts.
Reste l'excellent humour de Shakespeare qui peut choquer voire décevoir, totalement hors-sujet, dans The Most Excellent and LAMENTABLE TRAGEDY of Romeo and Juliet qu'annonce le titre complet de l'oeuvre.

Frenhofer

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