Techniquement, Rama est ce qu'on appelle un BDO – pour Big Dumb Object – c'est-à-dire une construction le plus souvent d'origine extraterrestre, de taille pour le moins colossale et dont on ignore la provenance comme la fonction concrète – pour autant que celle-ci soit compréhensible par l'intelligence des êtres humains ; intelligence toujours plus ou moins limitée de par l'immensité de l'univers et le nombre incalculable de formes de vies qu'il renferme, et dont certaines sont très probablement bien plus anciennes que nous (c'est-à-dire bien plus avancées sur le plan techno-scientifique).


D'où l'adjectif « dumb » – qui signifie « stupide » en anglais – même si ce n'est pas tant l'artefact lui-même qui est idiot, mais juste le manque de discernement des explorateurs qui le fait paraître tel. En fait, le BDO ne fait que renvoyer celui qui le découvre aux limites de sa propre intelligence – ce qui est souvent assez difficile à encaisser... D'abord pour une simple question d'amour propre, ensuite pour des raisons plus obscures, dans tous les sens du terme : parce que le BDO implique l'existence de ses constructeurs qui, d'une part représentent peut-être une menace, et d'autre part possèdent vraisemblablement un niveau technique – c'est-à-dire une puissance – supérieur au nôtre ; et dans l'hypothèse où ces gens nous seraient hostiles...


Mais ce n'est pas l'esprit qui sous-tend l'atmosphère de ce roman, car ici l'intrigue en reste au stade de la découverte, de l'exploration, de l'émerveillement. Presque de l'émotion pourrais-je dire. Les explorateurs y sont présentés – de manière volontaire ou non – comme des enfants qui découvrent peu à peu le monde des adultes – du reste un thème typique de l'œuvre d'Arthur Clarke, en tous cas prise dans son ensemble, qui voyait dans la conquête de l'espace l'occasion pour l'Humanité de sortir de son berceau. Pour le coup, ce sont les étoiles qui se sont invitées dans le berceau, et bien sûr elles dépassent l'entendement humain. Ici, l'Homme est confronté à la vastitude de l'inconnu et autant de données nouvelles précipitent bien évidemment des questions – signe d'intelligence.


Mais si les chercheurs et les savants qui font partie de cette expédition d'exploration n'ont que très peu de difficultés à comprendre les divers événements qui secouent l'intérieur de l'artefact colossal, les raisons derrière l'aménagement de celui-ci persistent à leur échapper. Ce n'est jamais que le problème de fond de la science, qui est tout à fait capable de répondre aux questions de l'ordre du « comment » (l'aspect physique des choses) mais jamais à celles qui se penchent sur le « pourquoi » (les raisons intrinsèques derrière l'état de ces choses) : en d'autres termes, s'ils parviennent à saisir les raisons – techniques – pour lesquelles Rama a été bâti de cette manière, ils s'avèrent incapables de comprendre dans quel but il a été construit...


C'est la mentalité de ses concepteurs qui leur échappe, c'est-à-dire leur culture, leur processus de pensée : en un mot comme en cent, leur psychologie. Ou quelque chose de cet ordre-là. Si nous savons pourquoi les pharaons ont construit des pyramides, c'est parce que nous y avons trouvé les dépouilles de leurs souverains ; c'était leur mausolée. Dans le cas de Rama, rien n'a pu être découvert qui permet de mesurer la portée réelle d'une telle construction. Pour cette raison, Rendez-vous avec Rama appartient bien au courant classique de la science-fiction en dépit de sa date de parution, car à aucun moment l'auteur explore l'aspect « humain » de l'artefact, c'est-à-dire ce qu'il implique réellement pour ses constructeurs, ce qu'il représente.


Voilà pourquoi l'intrigue se résume peu ou prou au résumé qui accompagne la fiche de cette œuvre. Il aurait cependant été impossible de faire de ce roman une nouvelle, ou même une novella (1). Rama est bien trop grand pour ça. Du coup, l'histoire est lente, contemplative, poétique sous certains aspects. Mais il ne s'y passe rien – ou si peu. De nos jours, on en tirerait peut-être un thriller spatial, mais entre l'époque de son écriture et son auteur, ce livre pouvait difficilement être autre chose que ce qu'il est...


Classique du genre depuis bientôt 40 ans, Rendez-vous avec Rama accuse donc son âge – surtout après 30 ans de développement exponentiel des technologies d'effets spéciaux. Il reste néanmoins un livre devenu emblématique et dont l'orientation hard science (2) de son récit ravira tous ceux parmi vous qui se lassent un peu des space operas musclés de la télé et du cinéma.


(1) un texte dont la longueur en fait un intermédiaire entre la nouvelle (histoire courte) et le roman.


(2) terme désignant les récits de science-fiction aux bases techno-scientifiques très solides.


Récompenses :



  • British Science Fiction & Nebula, catégorie roman, en 1973

  • Memorial John W. Campbell, Jr., sans catégorie, en 1974

  • Hugo, Jupiter & Locus, catégorie roman, en 1974


Adaptations :



  • au cinéma : le projet de David Fincher, qui devait être produit par Revelations Entertainement, la société de Morgan Freeman, pour une sortie prévue l'an dernier, en 2009, s'est trouvé compromis par un accident de la route de son producteur et donne toutes les apparences d'être abandonné ; en 2001, Aaron Ross, étudiant à la Tisch School of Arts, a réalisé un court-métrage basé sur le roman.


  • en jeu vidéo : en 1984, Rendezvous with Rama, un jeu d'aventure graphique conçu par Trillium (devenu plus tard Telarium) pour Macintosh, PC, Commodore 64 et Apple II ; en 1996, Rama, un jeu PC de type point 'n' click développé par Sierra dans le style de Myst et où Arthur C. Clarke lui-même sert de guide au joueur.


  • à la radio : en mars 2009, BBC Radio 4 a diffusé une pièce en deux parties écrite par Mike Walker.



Notes :


Rama tel qu'il est décrit dans ce livre est l'archétype d'un projet d'habitat spatial développé pour la NASA par le Dr. Gerard K. O'Neill de l'université de Princeton : le lecteur curieux souhaitera peut-être se pencher sur son ouvrage The High Frontier: Human Colonies in Space, dont une ancienne édition fut traduite en français et publiée chez Robert Laffont en 1978 sous le titre Les villes de l'espace – Vers le peuplement, l'industrialisation et la production d'énergie dans l'espace ; à noter cependant que l'édition américaine a été rééditée en 2001 et considérablement augmentée sur le plan des toutes dernières technologies aérospatiales par les meilleurs experts américains sur le sujet (Collector's Guide Publishing, 184 pages, ISBN : 978-1-896-52267-8).


Si trois autres romans font suite à celui-ci – tous écrits en collaboration avec Gentry B. Lee – le lecteur avisé évitera soigneusement de se pencher dessus sous peine de risquer une grosse déception...

LeDinoBleu
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le 3 mars 2011

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