Moderato cantabile semble un tournant dans la carrière de Duras, déjà initié par le Square sorti quelques années plus tôt (1955)
On est pourtant face à une œuvre qui reprend les thèmes chers à l’auteure développés dans ses précédents romans : désir d’ailleurs, crise de la cellule familiale, obsession de l’alcool… De ce point de vue il n’y a pas vraiment de rupture, plutôt une continuité. Le cadre aussi (bord de mer) semble rappeler celui d’autres œuvres, à cette différence près que les personnages ne sont pas en vacances ; enfin il peut y avoir quelques doutes à ce sujet…
Comme tant d’autres. Les certitudes de ce roman s’évacuent rapidement, tant peu est dit, tant l’absence d’évolution est notable, tant la même scène semble se répéter plusieurs fois, tant il n’y a pas d’issue possible à cette inaction permanente


Refus du moindre psychologisme, mise à distance complète entre l’auteure et ses personnages, récit et écriture minimalistes, bref tout est fait pour que l’on ne s’identifie pas aux personnages, avec le risque (j’en ai fait les frais) que ceux-ci nous inspirent qu’indifférence. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant chez Duras : ses personnages peuvent procurent toute une palette d’émotions, souvent de l’énervement – pas forcément dans un mauvais sens – rarement de l’envie, parfois de la passion, beaucoup de tristesse aussi. Par contre de l’indifférence, jamais
Et se réfugier derrière le concept, la radicalité de la démarche, ne me satisfait pas : d’autres auteurs de la même époque savent parler du vide, tout en ayant un attachement à leurs personnages (Beckett notamment). A l’inverse de ce-dernier chez qui le vide est une source intarissable d’imaginaire, un élan vers des horizons inabordables, où l’excentricité de l’univers s’analyse avec ironie, chez Duras le vide se resserre sur lui-même, emportant avec lui les personnages, leurs pensées, leurs sentiments, et laisse justement derrière ce vide… le vide. En somme ce n’est pas très joyeux, et ça me fait penser à ces cinéastes qui en filmant l’ennui nous plonge en plein dedans. Et pourtant, ici, ce n’est pas déprimant. Comme dit, l’indifférence n’entraîne rien : pas de constat alarmiste sur le monde, ni de réflexion globale sur la destinée de la famille moderne


Il m’est ainsi difficile de croire aux personnages, sans la moindre attache, et de partir sur des interprétations à partir de ces petits riens (dits ou non-dits) du récit. Pourtant des pistes de réflexion sont intéressantes (celle dont on peut trouver inspiration grâce au chapitre 7 à propos d’une impossibilité de rapprochement de deux êtres représentant les deux classes – bourgeoisie et prolétariat), se demander où est le mari dans l’histoire (aucune mention ; est-il là ? est-ce que ça doit avoir une importance ? une conséquence ?). Finalement, qu’importe. L’enfant me semble, comme les autres personnages, un simple faire-valoir, un argument de plus pour empêcher cet amour impossible de naître (cf. ses aller-retours réguliers dans le bar, comme pour rappeler à sa mère son existence et par-delà former une barrière entre elle et l’homme)
C’est sûr qu’à ce petit jeu on peut partir loin, tant le récit ne dit rien mais offre des innombrables indices – et dont pour partie nous n’avons même pas conscience


Face à d’autres romans de Duras pour lesquels les relations entre les personnages, leurs destinées, et surtout la place primordiale de la « communauté » sur l’individu (Les petits chevaux de Tarquinia, Un barrage contre le Pacifique) m’ont fasciné, ici la relation frontale entre ces deux pseudo-amants (car comme dit je restreins l’enfant à un rôle de faire-valoir, d’excuse, n’ayant pas une existence propre ; tout comme le mari et son absence, enfin pas physique, mais absence par l’absence d’allusion de l’auteure et des personnages à son égard) m’a semblé fade, et par le renoncement de tout développement de leur relation, par leur recours permanent à l’imaginaire comme seule possibilité de communication (sur ce fameux meurtre dans le bar), un désintérêt profond m’a envahi. Seul donc, ce chapitre 7, faisant état de tout le talent de Duras pour les descriptions de ce type, avec ce récit qui suit les destinées parallèles bien différentes des deux personnages, a pu me distraire

Wanell
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le 26 sept. 2018

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