Moi qui relis peu, je viens de reprendre pour la troisième fois Missa sine nomine. Il y a trente ans, j’avais apprécié le style, l’ode à la vie rurale, mais je n’avais rien compris. Il y a dix ans, j’ai été fasciné pour le personnage principal, mais j’ai peu compris. Hier, j’ai enfin apprécié la richesse des personnages secondaires et l’extraordinaire portée des silences. Proche de Dino Buzzati ou Gabriel Garcia Marquez, l’auteur parsème son récit d’un fantastique ténu, d’antiques magies, de prophéties oubliées et de signes perdus.


Outre-Rhin, Ernst Wiechert est reconnu comme un auteur de la trempe d’un Thomas Mann ou d’un Stefan Zweig. Emprisonné par les nazis, il s’est tu, se repliant dans une résistance toute intérieure. Il émigre en 1945 en Suisse, écrit Missa sine nomine et meurt. Parfaitement située dans le temps, le juste après-guerre, et dans l’espace, l’Allemagne de l’Ouest, son ultime chef-d’œuvre conte une histoire merveilleuse. Trois frères sexagénaires, nés en Prusse Orientale, ont survécu à l’effondrement du Troisième Reich. Général sous Guillaume II, Anselme parvint à échapper à l’enrôlement, il mena l’exode de ses paysans, mais échoua à les protéger. Aegide vit pour et par le travail de la terre ; désœuvré, il erre comme une âme en peine. Amédée a été dénoncé par son gardien de chasse. Après avoir survécu à quatre années de camps de la mort, le doux musicien s’est mué en fauve, il s’est vengé et ne trouve plus le repos. « ... on avait enlevé (à ces exilés) ce qui assurait la sécurité de leur existence. Cet élément indispensable dont tout homme a besoin, mais qui change avec chacun. »


Le titre demeure mystérieux. Il pourrait évoquer une liturgie discrète, individuelle et protestante, où chaque homme est invité à rencontrer le Dieu unique mais caché. Missa sine nomine est l’histoire d’une lente rédemption, rythmée par le passage des saisons sur le marais, une nature pauvre, mais apaisante. Les barons von Liljcrona se surprendront à se pardonner, puis à pardonner.


La plume magnifique d’Ernst Wiechert est magnifique, elle décrit sans juger. Le mal existe, il est venu, a subjugué le pays, puis a été, provisoirement, vaincu. Sans rien oublier, il nous invite à vaincre l’appel commun à la haine, à absoudre et à tenter de vivre.


« Il ne savait pas encore qu’il était moins douloureux d’écrire, que de se défaire de ce qu’on avait écrit et de le remettre entre les mains d’autrui. C’était comme vendre son enfant et rentrer chez soi, avec l’argent en poche. »

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le 16 juil. 2018

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Step de Boisse

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