Rapport minoritaire



Ahhh Minority Report ! Entrée en matière idéale que la nouvelle qui a inspiré à Steven Spielberg un excellent film de Science Fiction ! Ainsi, il est aisé de plonger dans cet univers futuriste où le crime n’existe plus puisque grâce au programme PreCrime les criminels sont arrêtés avant même de commettre leur méfait. John Anderton, le papa de PreCrime, réalise un jour qu’il va abattre un homme qu’il ne connaît pourtant pas. Pris de panique, il va essayer de s’enfuir et de percer à jour la sordide machination dont il se dit la victime.


Les similitudes avec le film sont nombreuses. Mais c’est également le cas des divergences et c’est pour cela que la nouvelle est agréable à parcourir alors même qu’on connaît bien le film. Dick nous invite à nous interroger sur le bien-fondé d’une paix durable et absolue après une période de guerre totale mais également, à l’instar du film, sur la notion de libre arbitre. Rapport Minoritaire est une nouvelle atypique, bien construite et qui réserve assurément son lot de rebondissements !


Note : 8 (+reco)



Un jeu guerrier



Alors que la guerre fait rage entre la Terre et Ganymède (l’un des satellites de Jupiter), des inspecteurs du contrôle qualité étudient des jouets ganymédiens saisis en vue d’une éventuelle commercialisation sur Terre. Ces inspecteurs vont passer au crible 3 jeux dont un mystérieux simulateur de prise d’assaut de forteresse avec de petits soldats.


War Game est une nouvelle expresse de 30 pages qui, je vous l’annonce, envoie sacrément du pâté. C’est la nouvelle la plus courte du recueil mais c’est celle qui m’a le plus bluffé. Au-delà du fait que la description des 3 jeux est dépaysante et atteste du génie de Dick en matière d’imaginaire, les réflexions qui émanent de ces pages trouveront écho dans l’intégralité des autres nouvelles de cet ouvrage.


En à peine 10-15minutes de lecture, Dick pose un univers, nous balance de la bonne SF dont il a le secret, s’amuse à brouiller les repères de temporalité et de réalité des personnages ainsi que du lecteur et arrive à cueillir avec malice ce dernier à travers un message qui fait froid dans le dos. Bref, ce qui fait le charme de Dick est condensé dans cette nouvelle. Une pure réussite.


Note : 9 (+reco)



Ce que disent les morts



A sa mort, Louis Sarapis, l’un des hommes les plus puissants du monde, est cryonisé et entre dans un état de Semi-Vie lui permettant de communiquer avec les vivants. Mais rapidement la voix de Louis Sarapis envahit les ondes radio et télé. Il est omniprésent, inarrêtable et il semble en plus nourrir de grands projets politiques par-delà la mort…


Cette nouvelle est fondamentale dans la bibliographie de Dick puisque c’est celle-ci qui est à l’origine de l’un des plus grands romans de SF de tous les temps ; UBIK. Malheureusement pour qui a lu ce chef d’œuvre, What The Dead Men Say laisse un gout amer. A travers les jeux de pouvoir des Puissants et les complots politiques, cette nouvelle ne fait qu’effleurer le millefeuille UBIKien et c’est bien dommage.


D’UBIK, seuls les concepts de vie après la mort et de réalités parallèles sont exploités. Bien sûr on retrouve certaines pistes qui deviendront des thèmes forts dans le roman comme par exemple le pouvoir détenu par les chefs d’entreprises ou encore les réalités alternatives mais cette nouvelle ne tient malheureusement pas la comparaison avec la pièce maîtresse qu’elle inspirera quelques années plus tard.


Note : 6



Ah être un Gelate !



La guerre entre les Humains et les organismes extraterrestres nommés Gelates a pris fin. C’est donc l’heure de la réinsertion pour les soldats mais pour l’un d’eux, Muster, le retour à la vie civile n’est pas si simple. Il a été contaminé par les Gelates et, chaque jour, pendant 8 heures il devient l’un d’eux. Il consulte alors un psychiatre qui lui présente Miss Arrasmith, une jolie jeune femme qui a le même problème. Ou presque, puisqu’elle est une Gelate qui se transforme ponctuellement en Humaine…


Ah être un Gelate ! est une nouvelle rafraîchissante. Marqué par les conflits armés, Dick aborde ici la réinsertion des soldats ainsi que la question du pardon entre les peuples. A travers une histoire d’amour aussi kafkaienne que dramatique, l’auteur n’oublie pas d’intégrer, pour notre plus grand plaisir, quelques composantes SF bien senties qui font de cette nouvelle une franche réussite qui se lit d’une seule traite. Peut-être même un peu trop vite…


Note : 7 + reco



Souvenirs à vendre



Douglas Quail rêve d’aller sur Mars mais le voyage est bien trop onéreux pour son modeste salaire. Il décide donc de se faire implanter de faux souvenirs chez Rekal Inc pour vivre son rêve à travers une illusion qui lui semblera réelle. Malheureusement lors de l’importation des souvenirs martiens un problème survient et le processus est stoppé car visiblement Douglas Quail serait déjà allé sur Mars…


Pour ceux qui ont vu le Total Recall de P. Verhoeven, il est presque impossible de ne pas s’imaginer Douglas Quail en Schwarzy. Quant à ceux qui ont vu la purge de remake de 2012 réalisée par Len Wiseman, il est presque impossible d'associer Douglas Quaill à Colin Farrell…En tout cas une chose est sûr, que vous ayez vu l’une des deux adaptations voire même les deux, la nouvelle de P.K. Dick reste un must read.


Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle diffère grandement des versions cinématographiques ! On y retrouve la trame principale s’articulant autour de l’implantation de souvenirs de la planète rouge mais Dick accentue d’avantage son récit sur la quête d’identité de son personnage principal et réserve une bien jolie surprise aux cinéphiles pensant connaître Total Recall ! Souvenirs à vendre est une nouvelle à lire car non seulement elle est originale et bien construite mais également parce qu’elle aide à mettre en perspective l’adaptation de P. Verhoeven. (l’autre également mais je préfère ne plus en parler…)


Note : 8



La Foi de nos Pères



Dans un monde où le modèle communiste chinois règne sans partage, un bureaucrate du Parti, Tung Tchien, consomme par accident une drogue qui lui provoque de violentes hallucinations. En effet, lors d’une allocution télévisée du leader du monde et chef du Parti, au lieu de voir un vieil homme Tchien voit une créature monstrueuse. Il est alors contacté par une organisation de résistants qui lui explique que le Parti manipule la population mondiale et que le leader tout puissant qui gouverne le monde d’une main de fer n’est pas du tout ce qu’il semble être…


La Foi de nos Pères est certes une nouvelle courte mais elle est surtout très dense car elle brasse de nombreuses thématiques chères à Dick mais également de nombreuses influences. La référence à la société totalitaire Orwellienne de 1984 n’échappera à personne, tout comme le profond cynisme de Dick à l’égard des religions et du modèle communiste. Personnellement j’y ai également vu quelques airs du Maître du Haut Château à travers les réminiscences d’une société vivant sous le joug d’une culture étrangère.


En axant sa nouvelle autour de la thématique du virtuel au service du mensonge et de la manipulation, Dick accouche d’un récit fluide, dynamique et bien construit qui brosse sans mal les fans de Science Fiction dans le sens du poil.


Note : 7 + reco



La fourmi électrique



Un chef d’entreprise du nom de Garson Poole est victime d’un accident qui lui coute sa main. A son réveil à l’hôpital il découvre qu’il n’est pas humain. C’est un robot. Une machine programmée pour être un bon businessman servant les intérêts de ses créateurs. Garson n’accepte pas la situation et décide de trafiquer la puce qui commande ses perceptions de la réalité…


La fourmi électrique est incontestablement la nouvelle la plus humaine de ce recueil. Les états d’âme de Garson renvoient aux interrogations des Replicants de Blade Runner à propos de la notion d’être un humain et ravivent la flamme de l’ineffable question : Les androîdes rêvent-ils de moutons électriques ? Simple et émouvante, La fourmi électrique est une nouvelle réussie à ne pas manquer si le sujet vous intéresse !


Note : 8



Nouveau modèle



La Guerre Froide a pris un nouveau tournant. Celui du conflit ouvert où Américains et Russes se mettent salement sur la gueule à coups d’ogives nucléaires. Face aux victoires rouges, les U.S. mettent au point les Griffes ; des robots miniatures totalement autonomes se déplaçant sous terre et traquant les communistes jusqu’au fin fond de leurs bunkers. C’est dans ce contexte qu’un gradé de l’armée U.S. se rend en territoire ennemi (en Normandie) pour signer un armistice avec ces derniers. Il découvre alors que les Griffes ont évolué ; elles ont mis au point de nouveaux modèles à l’apparence humaine qui ne font plus la distinction entre les deux camps…


Avec Nouveau Modèle, P.K. Dick frappe fort et livre une nouvelle haletante où lecteur et protagonistes sont jetés en pâture dans l’arène des Illusions. Qui est une machine ? Qui est humain ? Comment faire la différence sans test de Voight-Kampff ? C’est une réelle atmosphère de suspicion permanente qui s’installe et qui ne quitte plus le récit jusqu’à ses ultimes pages, malheureusement arrivées bien trop rapidement. Pour ceux qui voudraient prolonger l’expérience, cette nouvelle a été adaptée au cinéma en 1995 par Christian Duguay sous le titre Planète Hurlante mais, comme l’indique ma critique, si on peut saluer l’effort pour rester fidèle au matériau d’origine, on ne peut que déplorer l’orientation prise par la fin qui trahit la vision de P.K. Dick à propos de l’avenir de l’humanité.


Note : 9



L’imposteur



Alors que l’Humanité est en guerre contre une race extraterrestre, Spence Ohlam, ingénieur chargé de la conception d’armes pour vaincre les aliens, est accusé par sa hiérarchie d’être un androïde travaillant pour l’ennemi. Concrètement, l’état major pense que le vrai Spence Ohlam a été assassiné et qu’un robot a pris sa place pour saboter les défenses terriennes…


L’imposteur compte parmi les nouvelles les plus courtes du recueil mais n’en demeure pas moins l’une des plus efficaces. L’association de la thématique de l’identité à celle des androïdes fonctionne toujours aussi bien sous la plume de P.K. Dick et la paranoïa maladive de ce dernier ne manquera pas d’éclabousser le lecteur. Suspense, action, retournements de situation; tout y est !


A noter que cette nouvelle a été adaptée au cinéma en 2002 par Gary Fleder sous le titre Impostor
(Ne l’ayant pas encore visionné, je ne suis pas en mesure d’en parler)


Note : 8 + reco



C O N C L U S I O N



Dick est incontestablement l'un de mes auteurs préférés. C'est également pour moi l'un des piliers de la SF ainsi qu'une personne sans qui le cinéma fantastique n'aurait aujourd'hui pas la même saveur, ni la même allure. Ce recueil de nouvelles en atteste ! Pour avoir lu bon nombre de ses classiques, ces nouvelles m'ont permis d'avoir une vision concentrée des grands axes qui définissent ses récits; guerre froide, manipulation, mensonge, illusion, quête d'identité, autodestruction, pessimisme... Autant de thèmes qu'on retrouve dans la plupart de ses livres mais qui apparaissent bien plus distinctement ici et, surtout, traités avec beaucoup plus de cynisme.
Ce recueil est une petite perle que vous ne devez manquer sous aucun prétexte si vous aimez la Science Fiction ou si vous appréciez Philip K. Dick. Enfin, si vous désirez découvrir l'auteur, il va de soi que ce recueil est idéal et vous tend les bras. Bref, dans tous les cas, jetez-y un oeil ! C'est du très très lourd !

MarlBourreau
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Here is my Dick ! et Lectures 2015 - L'année où Sir Terry Pratchett a tiré sa révérence.

Créée

le 10 août 2015

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MarlBourreau

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