Mes amis
7.5
Mes amis

livre de Emmanuel Bove (1924)

Livre révolutionnaire/précurseur et d'avantage que Céline et son voyage au bout de la nuit (10 ans d'avance) et que Camus avec l'étranger (20 ans d'avance). Une merveille de forme littéraire entre l'économie de parole et une précision des descriptions des occupations de l'être en société moderne du 20e siècle (encore valable de nos jours !). On peut même dire qu'il y a un étonnant et subtile mélange entre les deux auteurs et leurs différentes façons d'écrire, je vous explique tout cela après.


Nous sommes dans la peau de Victor Bâton, invalide d'après-guerre, pauvre et qui est affreusement seul !

Ce livre, c'est le récit de cette recherche éperdue de l'amitié.


La lecture nous frappe dès les premiers paragraphes, car le narrateur va défiler son histoire et ses anecdotes, avec juste ce qu'il observe. Et cela nous frappe, rien qu'avec les premières phrases de la première page :


Quand je m'éveille, ma bouche est ouverte. Mes dents sont grasses : les brosser le soir serait mieux, mais je n'ai jamais le courage.

Direct je fus saisi. On éprouve, au fil de la lecture, nous lecteurs, une forme d'empathie pour Bâton. Ses recherches vont s'avérer être vaines et chaque chapitre va clore une énième tentative raté d'aimer et se faire un ami. Chapitre, après chapitre...


Victor est cette part touchante de nous-même à vouloir faire le constat de la pauvreté des relations humaines en société libérale.


Que ça soit pour coucher sans lendemain pour après rebosser comme un chien, pour des intérêts économiques etc. On a le cœur soucieux de voir cet homme qui souhaite tant la lune et non l'abandon.


Sa personnalité est un étrange équilibre entre un Meursault, parfois analytique calme et désintéressé puis un Bardamu émotif qui dit clairement ce qu'il a dans les tripes et qui secoue un peu la morale ambiante.


Mais comme je disais plus haut, il va agacer aussi. Non seulement Bâton aura cette façon de vouloir projeter abusivement sur les autres sa propre projection de ses désirs et fantasmes, tiraillé par sa pauvreté ou un trop grand amour.


Mais il va s'avérer être égoïste et un peu salaud.


En voulant par exemple souhaiter que la femme de son ami soit laide, pour ne pas que cette dernière fausse leurs amitiés masculines.


C'est affreux, moralement discutable. Et pourtant, on comprend Victor Bâton dans sa petitesse et ses mesquineries.


Nous nous sommes toutes et tous vu dans des cas où l'on perd des amis car leurs femmes sont trop possessives. Ou que l'on éprouve des sentiments pour la fille du patron etc etc.


Tous, nous avons fait face à des dilemmes ou des tiraillements personnels et pas toujours morales, fondues dans la solitude et nos engagements. Avec personne pour en parler, personne pour nous comprendre. C'est d'autant plus terrible qu'il va tout faire pour se faire des amis. En aidant un sdf qui allait finir ses jours et que se dernier l'oubli en allant au bordel avec son argent, un autre qui lui rendra jamais l'argent prêté ne le reconnaissant pas dans la rue et Victor Bâton qui ne réussira pas à combler le coeur de la maîtresse de son ami avec qui elle s'ennuie, tout nous ramène à une fin amère. À un constat identique de tristesse nous ramenant à nous même et à une société aveugle des importances individuelles, celle d'un cœur qui cherche juste à aimer, quitte à perdre parfois la raison, coutume sociale et morale. Et ça c'est brillant et troublant !


Je repense également à ce passage où il explique la médisance que l'on fait subir aux gens qui se permettent le droit de paresse :


Un homme comme moi, qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté.
J’étais dans cette maison d’ouvrier, le fou, qu’au fond, tous auraient voulu être.J’étais celui qui se privait de viande, de cinéma, de laine, pour être libre. J’étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable.

Comment être totalement antipathique après la lecture de telle ligne, même si l'on prend en compte ses mauvaises pensées et actions ?


Le livre se finissant tristement au moment où Victor Bâton, trouve finalement un job et même une femme avec qui elle tombe amoureux et elle amoureuse. Et il gâchera une fois de plus tout ce qu'il entreprend.


En premier en guettant et harcelant du coup la fille du patron dans l'incapacité d'aller la séduire. Le faisant virer sur le champ. Et en ne revenant jamais chez la femme qu'il avait pour autant tant aimer et où elle lui donner la possibilité de la revoir.


On fini sur une fin magistrale et vertigineuse, entre solitude et le besoin d'amour;


Ah ! La solitude, quelle belle et triste chose ! Qu'elle est belle quand nous l'a choisissons! Qu'elle est triste quand elle nous est imposée depuis des années ! Certains hommes forts ne sont pas seuls dans la solitude, mais moi, qui suis faible, je suis seul quand je n'ai point d'amis.

J'ai beau ne pas approuver Victor Bâton, je le comprends.

diggdinchnord
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Créée

le 8 juin 2022

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diggdinchnord

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