Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=iWJeV8ak8AM


Bon, je pense pas trop m’avancer en disant que c’est le pire que j’aurais lu de la sélection. Un jeune vieux de 24 ans qui fustige l’internet — ça va pas beaucoup plus loin. Et en plus, même pas d’une manière intéressante, ou précise (on dirait qu’il va sur internet comme en 2010, il mentionne les NFT, les cryptomonnaies, mais de très loin, on sent qu’il s’est pas beaucoup penché sur la question). Il m’a fait penser à De Vigan en moins bien écrit, c’est dire. Un roman à thèse, avec un moralisme lourd et collant, qui ne laisse jamais le lecteur décider, qui semble tout le temps sur son épaule à lui dire « Les réseaux c’est pas très très bien» Et moi, je m’en fous qu’il soit vieux avant l’heure, je pense même que ça pourrait être passionnant si c’était attaqué avec un angle intéressant. Mais non, pas du tout, une histoire de grandeur et chute vue et revue, et particulièrement mal écrite.


On a le droit à plusieurs points de vue : celui de Julien, l’utilisateur de l’antimonde, cet univers virtuel, comme le métaverse de facebook, avec des alterégos numériques, et Steiner, le créateur — et dans ce sens, on aurait pu le rapprocher des Particules élémentaires de Houellebecq, un personnage du corps, un de l’esprit, du jargon informatique et/ou lié au monde du travail, une critique de la perte de lien entre les gens, remplacés par des simulacres et des substituts vides de sens. Oui, mais non. Parce qu’on critique assez le style plat de Houellebecq (d’ailleurs pour la vidéo que je prépare sur lui, je vais lire un travail de recherche qui démystifie ce qu’on a l’habitude d’entendre sur son style), mais Nathan Devers n’a pas un style plat. Il n’en a pas du tout. Et cette méchanceté qu’on pourrait palper dans son texte, elle vise jamais juste — parce qu’elle est vague, on ne sait pas qui exactement elle pointe, les portraits sont vagues eux-aussi, et à aucun moment ou se dit, tiens, je m’y reconnais, ou je reconnais quelqu’un comme ça, ce qui fait que ça tombe à l’eau. Même Trump, c’est vu et revu, la maison blanche en feu avec le vol d’hélicoptère, le programmateur qui finit mégalomane et cocaïnomane.


C’est très mal écrit, au mieux du mieux on le voit appliqué au-dessus de sa copie avec la langue qui sort (je pense à ses descriptions inutiles, qu’on sent comme des passages obligés — « les fleurs que la municipalité faisait planter à tour de bras afin de maximiser le bien-être des administrés » (éléments de langage creux, vague, qui ne permettent pas à l’imagination de se mettre en marche) si tu veux pas faire de descriptions, personne t’y oblige), et au pire, c’est juste raté : alambiqué, les phrases inutilement tordues pour en mettre plein la vue, par exemple, l’emploi du subjonctif imparfait ( Il faut savoir que le subjonctif imparfait est surtout employé en littérature. Qu’il est un marqueur qui dit « attention, texte littéraire »). — je veux dire que si tu emploies ce genre de temps, vaut mieux qu’à côté tu t’emmerdes un peu à soigner tes images, sinon, ça donne une impression de poudre aux yeux, d’effet de manche un peu cheap. C’est comme si tu mettais des truffes sur un bic mac. Car il est plein de tics de langage journalistiques, qui ressemblent à des béquilles, de phrases à la construction bancale ou lourde « Un couvercle de nuages condamnait l’horizon » « un climat de solitude s’abattait sur la ville » « un menton allongé en toboggan comme un croissant de lune » (pour cette dernière, j’ai envie de lui dire, choisis ton image putain), parfois, il veut jouer avec les répétitions « il pleuvait donc, et la vie pleut elle aussi. » « Une tête avec une gueule qui l’amusait d’avance », de nombreux clichés et formules toutes faites, souvent dans la même phrase « « ils brûlaient d’en avoir le cœur net », il aime aussi accumuler les locutions et les adverbes « en guise de dernière étape » « la bière de trop, celle à cause de laquelle toutes les précédentes déclenchaient soudain le mauvais aspect de leurs effets secondaires […] », et aussi les pléonasmes, sinon, ce serait pas drôle « afficionados habituels ». Donc une langue non seulement impersonnelle mais aussi maladroite ; et qui laisse songeur quant à l’intrigue principale du livre : que ce Vangel, le double de Julien le héros, devienne poète, une célébrité grâce à son art, (parce que le texte est entrecoupé de ces « poèmes »/

« Facebook aime vomir tout son flot de poubelles,

Twitter et Instagram ? Un mélange du pire »

Il y a aussi un passage assez marrant sur François Busnel « L’animateur de la Grande Librairie avait toujours voulu avoir un temps d’avance sur la littérature institutionnelle, ce qui le conduisait à s’intéresser aux avant-gardes, prenant parfois le risque de déconcerter son public ». LOL

Et ce passage donc à la grande librairie, avec Beigbeder et Finkelkraut où il se lance des fleurs et répond par avance à ses détracteurs comme à des vieux cons réac (alors que je répète que dès le début, il a une position lui-même de vieux con réac). Finkie dit « Une accumulation, plus ou moins maladroite, plus ou moins disgracieuse, de clichés redondants ».

Et Beigbeder répond « il s’efforçait de compromettre la littérature, de la mettre en danger. Et ce pour mieux la réinventer ». Rien que ça


Un des seuls passages intéressants est celui des fourmis dans lequel il décrit une chaine youtube ou des gens font des moulages sur des fourmilières, et où je me suis dit que ce serait une idée de livre géniale de passer de chaine Youtube improbable en chaine Youtube improbable, où chaque chapitre en détaille le concept— mais non, un peu d’originalité, un peu de précision, ce serait trop demandé à Nathan Devers. On a l’impression qu’il a voulu dès le départ rester en surplomb, même pas prendre la peine d’essayer de comprendre ce qui peut attirer sur les réseaux, qui sont les figures importantes dans la vulgarisation, dans les sujets de société, dans la politique, je pense à Usul, à Nota Bene, les idoles des jeunes je dirais pour parler comme lui, bref, si tu veux parler de youtube ou d’internet en 2022, ça me parait chaud de rester que sur Norman. De ne pas s’intéresser à l’addiction à internet en tant que telle, en faisant des recherches sur le sujet, ou même, je sais pas, en trainant soi-même sur Twitter pour imiter correctement des tweets. D’avoir un peu d’empathie et prendre le parti adverse à sa thèse de départ : Leila Slimani compare l’auteur à l’avocat, et je pense qu’elle a raison, il doit épouser les limites de sa propre morale s’il veut faire quelque chose d’intéressant ; de juste. Parce que Devers prend les jeunes pour des cons illettrés, (les serveurs pour des cons illettrés aussi d’ailleurs, quand Monsieur commande son Ubereats, Kevin le livreur ose lui mettre trop de sauces — que voulez-vous, le petit personnel, c’est plus ce que c’était). Tout sonne faux, bon sang, rien ne parait crédible, rien ne parait psychologiquement, sociologiquement voire même scientifiquement tangible. Par exemple, si ces livreurs et ses restaurateurs lui proposent de la bouffe toujours immangeable, pourquoi il continue d’y aller ?


Ce qui me fait rire jaune, c’est de voir que des gens qui défonçaient le Despentes sur Babélio, (ou je viens de voir sur CNEWS) se prosternent devant ce livre, et c’est là qu’on voit que l’idéologie, la morale, ou quel que soit le nom que vous voulez donner à ce qui les animent les aveuglent sur l’esthétique, la valeur d’un texte. C’est pas Cher connard ou sa médiocrité qu’ils attaquent, mais la vision du monde de Despentes et elle-même. Et dans ce genre de cas, il m’arrive de me sentir un peu seule, de me dire, bon sang, personne n’essaie (car c’est impossible d’y arriver pleinement) d’être neutre, objectif, de rester sur le texte, de ne pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, de ne pas adouber une œuvre juste parce qu’elle dit ce qu’on veut entendre. Et j’ai peur pour la littérature, pour son avenir, parce que c’est l’autre face de la même pièce, de celle qui valide tous ces textes moyens ou mauvais au nom de ce qu’ils disent de la société, du miroir complaisant qu’ils nous tendent, ces textes qui nous brossent dans le sens du poil, qui ne remettent jamais rien en question. Et on applaudit, on applaudit parce qu’on ne s’est pas vu, ou parce qu’on a aimé ce qu’on a vu, ce nous qu’on croit unique, alors qu’il est aux yeux de ces auteurs qu’un public-cible à contenter, un public-cible à remplir avec la même malbouffe, éternellement.


Et donc je me demandais comment ça se faisait qu’un tel livre soit édité, j’avais jamais entendu parler de l’auteur, j’étais tellement sur le cul que je me suis dit, voyons-voir — et donc Nathan Devers, profite d’une place sous l’aile bien chaude et duveteuse de BHL. BHL qui dans un humble article invoque Beckett, Modiano, Pérec, Duras et bien d’autres figures littéraires dans le sillage desquels on sent qu’il entend inscrire son poulain. Devers, aussi jeune normalien agrégé de philo. Ben pour un normalien agrégé de philo, je m’attendais quand même à mieux. J’ai même envie de dire qu’il est à la littérature ce que BHL est à la philosophie, mais ce serait mesquin.

YasminaBehagle
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le 19 sept. 2022

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