La tragédie fondatrice des Jours Anciens

Avant toute chose, je me dois de mettre en contexte cette critique. J’ai découvert le Hobbit à 10 ans, à 12 ans j’ai lu Le Seigneur des Anneaux et vers 14-15 ans j’ai tenté et échoué face au Silmarillion. Grand amateur de la Trilogie de Peter Jackson, je l’ai vu de multiples fois et ait adoré l’adaptation BD du Hobbit (ayant relu plusieurs fois ce roman). J’ai aussi grandi dans un univers d’encyclopédies autour de Tolkien.

On est en 2020, le confinement arrive. Je décide donc de relire du Tolkien : Le Fermier Gille de Ham, les Aventures de Tom Bombadil, les Lettres du Père Noël et Roverandom. Marqué par cette redécouverte, je passe un pacte avec moi-même : chaque été, je lirai un livre de Tolkien désormais.

En 2021, ce fut Beren et Luthien ; en 2022, j’ai vibré avec La Chute de Gondolin. En 2023, il s’agit de terminer en beauté avec Les Enfants de Hurin.


A titre très personnel, je conseillerai justement cet ordre de lecture tant Turin, le principal protagoniste des Enfants de Hurin incarne l’anti-héros, l’anti-Tuor, l’anti-Beren malgré sa prétention à l’égaler. Il est le personnage d’une histoire plus petite, mais plus horrible, qui a lieu simultanément. De fait, le lecteur connaîtra mieux les Jours Anciens en ayant lu ces autres récits au préalable.


Et donc, cette année, comme l’année passée, j’ai partagé ma passion avec des amis qui ont décidé comme moi, de lire chaque été un Tolkien.

De fait, cette critique sera un peu décousue car reprenant des notes que j’ai écrites sur cette lecture.


Les Enfants de Hurin raconte ainsi la vie de Turin, fils de Hurin, qui est sombre, peu joyeux, noble certes d'âme mais taciturne. Colérique même parfois. De fait en fait, on le voit diminuer, descendre dans un côté sombre pour sa vie et son contexte mais sans jamais perdre sa noblesse. Il n'est jamais un héros mais épouse une condition de rodeur après avoir été fils adoptif des elfes. Il accepte les voleurs et les meurtriers, il se lie d'amitié avec un nain jaloux tandis que les elfes peinent à conserver son affection.

Il y a bien sûr derrière tout cela un contexte plus large : celui qui fait suite à la bataille des larmes innombrables. Seuls les trois derniers royaumes elfes représentent une menace face au Noir Ennemi et Turin ne se rend pas compte qu'il entre dans ce vaste jeu. On sent toute la porté de Morgoth qui modifie les lieux, les rendant tous brutaux et dangereux d'année en années. Seuls reste Gondolin, Nargothrond et la Doriath. Le lecteur de Beren et Luthien sera aidé dans cette lecture tant on est dans la suite indirecte de ce récit.

J’ai le sentiment que si le lecteur n'a pas lu Beren et Luthien, il manquera beaucoup de choses. De même, je pense que La Chute de Gondolin permet de bien comprendre toute la diversité de l'arrière-plan. Non pas qu'il faille comprendre les références, car cela demande d'avoir déjà tout lu et tout retenu de Tolkien, mais bien de voir l'aspect tragique : Turin se méfie de nombreuses fois de choses que nous savons ne pas être dangereuses car nous les connaissons par d'autres récits.

Après la Doriath de Beren et Luthien et après Gondolin du récit de sa chute, Les Enfants de Hurin permet de découvrir, en plus de ces deux royaumes, celui de Nargothrond, que l'on avait rapidement vu dans Beren et Luthien. Un plaisir total pour le lecteur.


Les Enfants de Hurin est une oeuvre totalement différence dans ce triptyque incroyable. Triptyque que Tolkien avait lui-même formé comme devant être les trois récits a avoir une version longue selon lui, là où les autres pouvaient être condensés en courtes versions pour la partie couvant les Jours Anciens. Tryptique autour de trois récits très différents : l'aventure épique pour Gondolin (même si on ne peut que pleurer le fait de n'avoir jamais la version définitive), le récit de chevalerie d'inspiration arthurienne pour Beren et Luthien et enfin la tragédie avec une certaine inspiration shakespearienne pour Les Enfants de Hurin.


On dit de Proust qu'il est une respiration. Tolkien est indiscutablement un voyage. Non pas au sens faible du terme, mais au sens le plus profond. Lire Tolkien c'est l'acte même de voyager, ce n'est pas juste être spectateur, c'est marcher avec.

Plus je lis Tolkien et plus je comprends sa grandeur d'auteur, sa diversité, sa capacité à faire vivre plusieurs styles dans une seule âme qui unifie l'ensemble. Tolkien n’est pas qu’un grand « inventeur », c’est avant tout un gigantesque auteur.

Et c'est cela que j'ai hâte de retrouver. Simplement lire quelques pages suffisent à se sentir happé ici. Et pourtant, bien rapidement, on découvre un autre ton d’écriture.

Comme le Fermier Gilles de Ham offre au lecteur un portrait inversé du roi, témoignant que pour Tolkien la royauté n'est pas un titre ou une naissance mais un comportement éthico-politique, Les Enfants de Hurin offre des figures de non-héros qui, ayant presque tout pour l'être, n'en sont que plus tragiques : Turin bien sûr, mais aussi Morwen, probablement Nienor sa fille, et même Hurin, qui a une noblesse d'âme et de belles intentions mais qui n'a pas la force nécessaire pour imposer ses vues et les montrer comme bonnes, ni la force de pouvoir s'opposer à la malédiction de Morgoth.


C'est bien entendu dramatique à souhait, d'une tristesse infinie. On n'a pas le côté glorieux de Gondolin qui galvanisait le lecteur. On n'a pas le parfait récit amoureux de Beren et Luthien. On n'a pas l'héroïsme et la victoire du bien du Seigneur des Anneaux. On n'a même pas la joie de vivre du Hobbit. Non, on est face à la grande tragédie des Jours Anciens, celle qui marquera l'humanité de son sceau.

mavhoc
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le 11 août 2023

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