Les éditions de La Contre Allée font reparaître pour notre plus grand plaisir un recueil d’Antoine Mouton, « Chevals morts » où se trouve mise en scène l’allégorie de la menace constante et permanente qui pèse sur tout sentiment amoureux.


Avant d’entrer dans le texte et le corps de ce Chevals morts, nous dirons quelques mots sur le contexte de publication, en effet, celui-ci nous paraît relever d’une pratique assez courante aujourd’hui au sein de l’édition indépendante ; la réédition d’œuvres. Initialement, Chevals morts a paru en 2013 au sein d’une petite maison d’édition nantaise ; Les effarées. Portées par deux jeunes éditrices Louise de Ravinel et Justine Arnal – on trouve trace de la genèse de cette structure éditoriale. De par leur fragilité sur le plan économique (notamment), ces petites structures éditoriales sont souvent condamnées à disparaître – on le sait bien l’édition indépendante n’est que fort peu rémunératrice, écrasée qu’elle est par celle des groupes et autres conglomérats. Ainsi est-il toujours nécessaire de prendre quelques lignes pour rendre hommage à celles et ceux qui parviennent à faire émerger d’autres voix, d’autres formes que celles standardisées dans et par le marché éditorial. Rendre hommage également aux éditeur·ices qui, comme La contre allée, reprennent ces œuvres empêchant qu’elles ne sombrent dans l’oubli. Tout cet écosystème éditorial, qui loin de s’aligner sur les prescriptions et le formatage des formes et des tendances scripturales opérés par le marché, parvient à faire (sur)vivre l’altérature – l’altérité littéraire.



NÉGATIF DE L’IMAGINAIRE ÉQUIN



Chevals morts, date d’édition 2013 donc ; Antoine Mouton est alors âgé de 32 ans. Ainsi est-il tout à fait fascinant de se pencher sur un texte antérieur de l’auteur de Le metteur en scène polonais [Christian Bourgois, 2015] ou du magistral Chômage Monstre [La Contre Allée, 2017]. Il ne s’agira bien évidemment pas de lire ces œuvres à la lumière de Chevals morts, bien plutôt de (re)contextualiser l’œuvre dans son cadre.


La première chose que l’on ne pourrait manquer d’observer c’est ce : chevals – pourquoi cette orthographe pour le moins insolite ? des chevals morts, qui plus est. S’esquisse déjà, dans et par le titre, deux motifs que l’on croisera tout au long du recueil ; l’erreur, la mort. Que sont au juste ces Chevals morts qui traversent l’ensemble du livre, faisant leur apparition dès le premier poème.


Il faudrait partir alors du cheval, des chevaux, de la symbolique que recoupe l’animal dans nos imaginaires. Faisons ce jeu, ensemble, à la lecture du mot : « cheval », quelles images affluent dans votre imaginaire ?


Liberté, une vaste étendue, le cheval y galoperait, mouvement de la crinière, des pattes, la vitesse également, une bataille peut-être ? quelque « héros » ou même « héroïne » sur sa monture ? Qu’en serait-il désormais d’un cheval mort ?


Tout ce qui était mouvement, ondulation, galop, se trouve figé. Ne subsiste que la carcasse, la masse étendue, inerte. Et c’est un peu ça qu’atteint le poème d’Antoine Mouton, par ce chevals, ce ne sont pas les chevaux, l’imaginaire qu’enveloppe le cheval, les chevaux, non, ce sont des chevals, morts qui plus est. Ainsi s’esquisse une sorte de négatif de la symbolique entourant le cheval et les chevaux.



et les chemins s’écartent, s’écartent s’écartèlent tandis qu’entre
eux tombent les dents des chevals morts c’est une cataclop, une
cataclop, une cataclop, une cataclop, tous ces gens que les chevals
morts de tristesse écartèlent, une cataclop tous ces morceaux de joie
qu’on perd



cataclop les chevals morts ne galopent pas



ils piétinent ils soufflent ils renâclent entre les gens devenus seuls
parce que la tristesse à leurs trousses les a pressés la tristesse
s’est infiltrée la tristesse les tue presque les tue presque les a
tués



pp. 11-12



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le 28 mars 2022

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