De la structure éditoriale au texte, en passant par les relais médiatiques qui ont promu Le voyant d’Étampes, nous scruterons ici la manière dont un roman idéologique, un roman à thèse a pu recevoir autant d’égards.


Il a été célébré, il a connu un succès médiatique et public – les deux vont souvent de pair d’ailleurs. On l’a décrit comme un roman « truculent » [philomag] à « l’humour délicieusement acide » [France culture] ; il s’est même vu couronné par un prix littéraire, le prix de Flore. De tous points de vue Le Voyant d’Étampes est à n’en pas douter un objet d’analyse fascinant, pourquoi le deuxième roman de cet avocat, Abel Quentin, publié aux éditions de L’Observatoire – peu connues pour leurs productions littéraires – a-t-il fait l’objet d’une telle fascination, de tant d’éloges ?


Commençons par l’histoire ; le personnage principal de ce roman écrit à la première personne est Jean Roscoff ; enseignant universitaire à la retraite qui, après avoir publié un essai autour d’un obscur poète étatsunien, se trouve très vite au cœur d’une polémique. En effet, les analyses qu’il développe au sujet de ce poète ne tiennent pas compte du fait que ce dernier était afro-américain. Voilà, en quelques mots, résumée la fameuse histoire. Mais avant de nous pencher sur la manière dont l’avocat-auteur compose son roman, il nous en faut passer par le contexte de publication et de réception.



UN RÉASSUREUR, UN GROUPE ÉDITORIAL, DES MÉDIAS



Comme je l’ai précisé plus haut, c’est aux éditions de l’Observatoire que paraît le roman, structure éditoriale fondée en 2016 au sein du groupe Humensis fraîchement formé de la fusion de Belin et de PUF [Presses Universitaires de France] ; l’actionnaire majoritaire des deux structures se trouvant être SCOR SE, l’un des principaux réassureurs mondiaux. La vision de Denis Kessler [PDG de SCOR à l’époque] était de bâtir « un groupe fondé sur la culture, la connaissance et une mission de transmission, à l’inverse d’une logique purement industrielle » confiait Muriel Beyer à Les Échos. De telles intentions philanthropiques, énoncées par un groupe aussi important que SCOR SE ne peuvent qu’être prises au sérieux, il est évident que les logiques marchandes n’entrent pas en jeu, ne viennent aucunement brouiller ces missions de « culture » et de « transmission ». Cette même année 2016 voit également la création des éditions de L’Observatoire, menées par Muriel Beyer, rapidement surnommée « la prêtresse du livre politique », nous lui devons des œuvres aussi nécessaires et fondamentales que les mémoires de Nicolas Sarkozy ou le récit de Raphaël Enthoven.


Dans le contexte de cette structure éditoriale est lancé, en août 2021, Le Voyant d’Étampes très vite couronné par le prix littéraire Maison Rouge de Biarritz cofondé par Frédéric Schiffter et Frédéric Beigbeder (les deux faisant partie du jury), la recension de ce dernier au Figaro ne tardera pas à paraître, l’occasion pour le « critique » de mettre en valeur Le voyant d’Étampes mentionnant le fait qu’il « vient de recevoir le prix Maison Rouge 2021, décerné chaque été à Biarritz par un jury exigeant, présidé par Philippe Djian. » Sans que Beigbeder ne précise qu’il est le cofondateur et membre de jury de ce prix. Ainsi à peine quelques jours après la sortie du Voyant d’Étampes le voici dûment et rondement promu par Frédéric Beigbeder, notamment, le bal peut commencer et la circulation circulation de l’information peut fonctionner à plein régime avec, en bout de course, l’obtention d’un autre prix littéraire, plus prestigieux celui-ci, le prix de Flore cofondé par… Beigbeder, ce même Beigbeder qui fait partie du jury.


Ainsi lancée la machine de la promotion médiatique, Le voyant d’Étampes et sa rhétorique vont fonctionner à plein régime, portée également, il faut le dire, par les diverses polémiques de plateaux télévisuels ou radios autour du fameux islamo-gauchisme concept creux assez vite remplacé par un autre, tout aussi flou, woke ou wokisme. Et c’est bien ce wokisme, ce « danger » du wokisme que le roman s’évertuera à dénoncer. Nous pourrions multiplier les angles d’analyse tant ce texte est le reflet fidèle de la doxa des médias dominants. Pour Susan Rubin Suleiman le roman à thèse « se signale principalement ou en premier lieu comme porteur d’un enseignement doctrinaire. En d’autres termes, il faut qu’il possède un ensemble de traits dominants qui forment un système. » Dans un premier temps c’est bien ce système que nous scruterons au travers, notamment, de procédures scripturales. En second lieu, je me pencherai sur la représentation qui est faite des militant·es et de tout ce qui est considéré comme faisant partie de cette « idéologie » woke.


Lire la suite de cette recension d'Ahmed Slama sur Littéralutte.

Litteralutte
1
Écrit par

Créée

le 19 mars 2022

Critique lue 312 fois

1 j'aime

3 commentaires

Litteralutte

Écrit par

Critique lue 312 fois

1
3

D'autres avis sur Le Voyant d'Étampes

Le Voyant d'Étampes
jaklin
8

Le « racisme antiraciste »( Sartre) ou le choix de la haine.

Le Voyant d’Etampes a beaucoup de qualités, la première étant de prendre parfaitement la température de notre époque. Les presque 400 pages de ce roman nous plongent dans l’horreur de la tyrannie...

le 24 avr. 2022

24 j'aime

25

Le Voyant d'Étampes
Moizi
3

Les wok aux légumes sont méchants !

On repart pour une cure de médiocrité... cette fois on a l'opposition entre deux types d'antiracistes, celui des vieux façon SOS racisme et celui des jeunes wokes (sic). Bon au départ c'était un peu...

le 10 oct. 2021

9 j'aime

9

Le Voyant d'Étampes
YasminaBehagle
8

La marche des beurs, bordel !

Mon avis : Un grand talent pour croquer les gens : en quelques mots, en quelques images, on voit tout à fait le genre de personne à qui on a affaire. Le portrait qu’il fait de son...

le 15 sept. 2021

8 j'aime

5

Du même critique

Crash memory
Litteralutte
10

Piraterie littéraire & négatifs photographiques

Rencontre avec Abrüpt et ses (anti)livres anti-marchands et l’on ira à la découverte d’une des toutes dernières œuvres publiées « Crash Memory », où l’écriture se déploie dans l’obscurité, où la...

le 17 avr. 2022

1 j'aime

La Femme grenadier
Litteralutte
10

Une femme grenadier

Paru le 3 mars 2022 aux éditions du Temps des Cerises, La Femme Grenadier n’est pourtant pas une véritable nouveauté : datant de 1801, ce roman appartient aux œuvres d’un matrimoine trop longtemps...

le 28 mars 2022

1 j'aime

Le Voyant d'Étampes
Litteralutte
1

Le roman de la doxa universaliste

De la structure éditoriale au texte, en passant par les relais médiatiques qui ont promu Le voyant d’Étampes, nous scruterons ici la manière dont un roman idéologique, un roman à thèse a pu recevoir...

le 19 mars 2022

1 j'aime

3