Les Bonnes
7.2
Les Bonnes

livre de Jean Genet (1947)

L’auteur : Jean Genet est loin d’avoir eu une enfance facile, puisque abandonné par ses parents, il perd sa mère nourricière à l’âge de douze ans. En 1926, alors qu’il a seize ans, il est emprisonné pour deux ans et demi, s’engage en sortant dans la Légion étrangère, pour déserter sept ans plus tard. En 1938, revenu à Paris, il est à nouveau incarcéré pour vols. Au cours de sa vie, il rencontre de grands auteurs, comme Jean-Paul Sartre ou Jean Cocteau. Auteur de nombreuses œuvres, il publie Les Bonnes en 1947, qui mettent le public mal à l’aise. Il s’engage également politiquement, défendant l’homosexualité et dénonçant les conditions de vie en prison. En 1983, il reçoit le Grand Prix national des Lettres, et Les Bonnes entrent au répertoire de la Comédie-Française en 1985. Il meurt l’année suivante.


Le livre : Solange et Claire sont deux sœurs, qui travaillent toutes deux au service de Madame. Cette dernière a peu d’empathie pour ses employées, et les traite avec une certaine condescendance. Pendant son absence, les deux bonnes se griment en Madame, utilisant ses habits et différents apparats, mettant ainsi en scène la mort de leur patronne qu’elles rêvent de tuer. Parviendront-elles à mener à bien leur projet ? Oseront-elles aller jusqu’au bout ?


Mon avis : La pièce de théâtre s’ouvre sur une « cérémonie » organisée par Claire et Solange, qui sont déguisées en Madame et jouent tour à tour son rôle. Cette scène de théâtre dans le théâtre peut déstabiliser quelque peu le spectateur, qui met un peu de temps à comprendre ce qui se déroule sous ses yeux, d’autant plus que les deux femmes s’amusent à échanger leurs rôles, Claire se prenant pour Solange, et inversement. Par ailleurs, les deux sœurs semblent éprouver l’une pour l’autre des sentiments ambivalents, parfois à la frontière entre amour et haine. Il y a donc beaucoup de violence psychologique dans cette pièce de théâtre, mais également physique : entre Solange et Claire, mais aussi dans leur plan de mettre fin aux jours de Madame, qui, selon les bonnes, prend plaisir à les humilier. En outre, Monsieur a été arrêté, et il se pourrait qu’il soit envoyé au bagne, ce qui plonge Madame dans le désespoir, et les deux sœurs joueront de cet événement pour mettre à mal les nerfs de leur employeuse. Beaucoup de machiavélisme, donc, dans cette pièce de théâtre.


Trois personnages sont présents sur scène – Madame, Solange et Claire – et un autre est évoqué : Monsieur, qui intervient par un coup de téléphone. Les rapports entre les deux sœurs tendent à s’inverser, puisque chacune domine à tour de rôle. Il y a une réelle rivalité entre ces deux femmes, qui se retrouvent dans la haine qu’elles vouent à Madame – pourtant, Madame, bien que quelque peu hautaine, semble bienveillante envers ces deux femmes. En effet, Madame s’écoute beaucoup et paraît un peu égoïste – voire parfois un poil tyrannique quand on la fait patienter –, mais cela ne l’empêche pas d’avoir quelques attentions pour ses deux servantes : elle leur offre par exemple certaines de ses tenues, et les remercie pour leurs bons soins. Néanmoins, elle fait aussi preuve de condescendance et de mépris envers les deux femmes. Bonheur, tristesse, amour, haine… ces protagonistes mis en scène nous proposent un joli panel de sentiments humains. Quant à la fin, elle était pour ma part totalement inattendue.


La grande originalité de cette pièce se situe sans doute dans l’écriture de Jean Genet, qui nous offre une pièce sans aucun découpage en actes ou en scènes. Par ailleurs, il propose une réelle liberté d’interprétation, puisqu’il n’impose rien et ne fait que se permettre quelques suggestions aux comédiens, précisant que le dernier mot revient au metteur en scène. Nous pouvons voir que le visuel occupe une place très importante dans cet ouvrage, et qu’il est sans doute davantage destiné à la représentation scénique qu’à la lecture pour l’apprécier pleinement. En effet, au début de cette intrigue, le lecteur se rendra très probablement plus vite compte que les deux bonnes jouent à singer Madame et à mettre en scène le meurtre de cette dernière. Un certain suspense et une tension dramatique sont présents tout au long de l’œuvre. Notons que l’ouvrage Les Bonnes est précédé d’un petit texte intitulé « Comment jouer Les Bonnes » rédigé par Jean Genet, qui y précise qu’il ne s’agit pas d’un « plaidoyer sur le sort des domestiques », mais d’un « conte ».


À recommander : À ceux qui ont envie de lire une pièce de théâtre sortant quelque peu des sentiers battus.


Une citation : « Madame se croyait protégée par ses barricades de fleurs, sauvée par un exceptionnel destin, par le sacrifice. C’était compter sans la révolte des bonnes. La voici qui monte, Madame. » (p.20)


Lien vers ma chronique : https://loasislivresque.wordpress.com/2016/08/22/les-bonnes-jean-genet/

Créée

le 22 août 2016

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