Le livre commence sur cette sentence, brève, précise, irrévocable. Qui ne serait pas habité par une envie de vivre, jusqu’à présent jamais aussi forte, suite à cette terrible condamnation? Cette condamnation dont l’issue est de passer directement de quatre murs à quatre planches. Notre prisonnier est un homme et quel que soit son nom, quoi qu’il ait pu faire pour recevoir cette ultime sentence, il reste un homme avant tout. Et dans son cachot, attendant l’heure de sa rencontre avec le bourreau, la mort hante son esprit nuit et jour.



Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m'obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'un couteau.



Héritage de la Révolution française, la guillotine est profondément ancrée dans le folklore français. Quarante ans, après la révolution, notre condamné sera exécuté par ce terrible instrument de mort. Ce système continuera sa mortelle besogne jusqu’en 1977, date de sa dernière exécution, après près de deux siècles de bons et loyaux services.


L’œuvre de Victor Hugo a été fortement critiqué à sa sortie à cause du manque d’information sur le condamné. J’ai trouvé au contraire cet aspect très intéressant. Cet homme est un homme, comme tout le monde, un anonyme. Ne pas divulguer son crime ou son passé permet au lecteur d’avoir un regard beaucoup plus objectif, sans être influencé par détails qui, au fond, ne sont pas importants. Cet anonymat renforce le plaidoyer de l’écrivain contre la peine de mort. Dès l’enfance, Victor Hugo a toujours été choqué par ses exécutions qui se faisaient en place publique où était dressé l’échafaud. Sa description dans son dernier roman, Quatrevingt-treize, de la guillotine est glaçante.



Le jour ne tarda pas à poindre à l'horizon. En même temps que le jour, une chose étrange, immobile, surprenante, et que les oiseaux du ciel ne connaissaient pas, apparut sur le plateau de la Tourgue au−dessus de la forêt de Fougères. Cela avait été mis là dans la nuit. C'était dressé, plutôt que bâti. De loin sur l'horizon c'était une silhouette faite de lignes droites et dures ayant l'aspect d'une lettre hébraïque ou d'un de ces hiéroglyphes d’Égypte qui faisaient partie de l'alphabet de l'antique énigme. Au premier abord, l'idée que cette chose éveillait était l'idée de l'inutile. Elle était là parmi les bruyères en fleur. On se demandait à quoi cela pouvait servir. Puis on sentait venir un frisson. […] C'était peint en rouge. Tout était en bois, excepté le triangle qui était en fer. On sentait que cela avait été construit par des hommes, tant c'était laid, mesquin et petit ; et cela aurait mérité d'être apporté là par des génies, tant c'était formidable. Cette bâtisse difforme, c'était la guillotine.



Le Dernier Jour d'un condamné est aussi une attaque habile contre l’église et la royauté, complices de ces assassinats maquillés et soit disant justes. L’indifférence affichée par l’aumônier de la prison ainsi que celle du roi imaginé par le condamné servent à dénoncer la complicité des autorités.


Au sujet de l’aumônier:



Non, si bas que je sois tombé, je ne suis pas un impie, et Dieu m'est témoin que je crois en lui. Mais que m'a-t-il dit, ce vieillard ? Rien de senti, rien d'attendri, rien de pleuré, rien d'arraché de l'âme, rien qui vînt de son cœur pour aller au mien, rien qui fût de lui à moi. Au contraire, je ne sais quoi de vague, d'inaccentué, d'applicable à tout et à tous ; emphatique où il eût été besoin de profondeur, plat où il eût fallu être simple ; une espèce de sermon sentimental et d'élégie théologique. Ça et là, une citation latine en latin. Saint Augustin, Saint Grégoire, que sais-je ? Et puis il avait l'air de réciter une leçon déjà vingt fois récitée, de repasser un thème, oblitéré dans sa mémoire à force d'être su. Pas un regard dans l'œil, pas un accent dans la voix, pas un geste dans les mains.



Bizarrement, ce récit est une très belle ode à la vie où Victor Hugo met son incroyable talent d’écriture au service d’une cause qui lui tient à cœur. Pour information le livre appartient désormais au domaine public et est disponible sur internet (http://lettres.ac-rouen.fr/francais/dernier/dernier1.htm).

Vincent-Ruozzi
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le 10 avr. 2015

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Vincent Ruozzi

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