Lou Ford est natif de Central City, une petite ville tranquille perdue au fin fond des plaines du Texas. Sa famille est l’une des plus respectée de la région et son père y exerça la fonction de médecin jusqu’à sa mort. En apparence l’enfance de Lou fut sans histoire et sa vie d’adulte a tout de celle du paisible flic de campagne dont l’horizon d’attente peine à dépasser les frontières du comté. Un boulot peinard, une magnifique petite amie, une maison héritée à la mort de son père... le roman aurait pu s’intituler “la vie est un long fleuve tranquille”. Mais dans l’intimité, Lou lutte en réalité contre de terribles démons hérités d’un ancien traumatisme infantile, jusqu'au jour où il ne peut plus se contenir et laisse la violence se déchaîner. Lou aime particulièrement cogner les femmes, alors il démolit une prostituée avec laquelle il entretenait une relation sado-masochiste et abat dans la foulée le fils d’un important homme d’affaire local. Il s’empresse ensuite de maquiller son crime pour aiguiller ses collègues sur de fausses pistes. Mais un crime en entraîne un autre et Lou s’engage dans une spirale infernale faite de mensonge, de dénis et trahisons.

Le démon dans ma peau est le second roman de Thompson à mettre en scène un flic pourri en milieu rural (ou semi-rural) et l’on peut pointer un certain nombre de similitudes. Mais Lou Ford n’est pas exactement Nick Corey, le shérif roublard de 1275 âmes, dont l’objectif est avant tout de se maintenir au pouvoir de manière opportuniste. Alors que Nick Corey est un calculateur et un manipulateur, Lou Ford est surtout un homme torturé, traumatisé par son passé et qui tente de contenir ses démons sans réellement y parvenir ; les mécaniques psychologiques qui les conduisent au meurtre sont différentes, même si en apparence les deux hommes affichent une attitude décomplexée, voire une arrogance déplacée. On détecte cependant dès le départ une tendance prononcée au sadisme chez Lou Ford, ne serait-ce que dans sa manière de titiller ses interlocuteurs lors de conversation en apparence anodines, mais qui n’ont d’autre but que de mettre mal à l’aise. Un fond de perversion qu’on ne retrouve pas tout à fait chez Nick Corey, qui est un enfoiré de première mais pas exactement un serial killer. Sauf erreur, Le démon dans ma peau est l’un des premiers romans à mettre en scène à la première personne un véritable psychopathe, bien avant l’excellent Un tueur sur la route de James Ellroy.

En filigrane Thompson décrit également le microcosme que représente cette petite agglomération rurale, les pressions exercées par les notables et en particulier par ceux qui détiennent le pouvoir économique, les petits arrangements dégueulasses entre puissants et le localisme forcené des élites. Une communauté gangrenée jusqu’au coeur, qui cache ses vices et les turpitudes de ses concitoyens derrières ses façades immaculées. Un background qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le Poisonville de Dashiell Hammett en version campagnarde. Reste au final un roman précurseur, féroce, violent, diaboliquement intelligent dans sa narration et d’une noirceur peu commune.
EmmanuelLorenzi
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le 8 nov. 2012

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