Une fausse comédie romantique britannique, plus subtile et délicate qu'il n'y parait

Les films qui évoquent les livres ou le travail de libraire ne courent pas les rues, The Bookshop fait donc un peu figure d’ovni dans un paysage cinématographique qui tend à oublier d’où provient son inspiration première. Oui, faites le compte et vous pourrez constater le nombre prodigieux de films inspirés par une oeuvre littéraire et celui-ci, d'ailleurs, ne fait pas exception à la règle (La libraire, de Penelope Fitzgerald, paru également sous le titre L’affaire Lolita). C’est donc avec beaucoup d’impatience que votre serviteur attendait la sortie de ce long métrage, qui s’inscrit en apparence dans dans la plus pure tradition de la comédie romantique britannique, mais qui évite pourtant avec brio tous les écueils associés au genre et lorgne avec une certaine habileté du côté de la critique sociale.


Sur la côte méridionale de l’Angleterre, au milieu des années cinquante, Florence Green, jeune veuve âgée d’une quarantaine d’années, décide d’ouvrir une librairie. Dans ce petit village de pêcheurs engoncé dans ses traditions séculaires et une stratification sociale immuable, le projet ne réjouit pas tout le monde et provoque même l’ire de certains notables. Mais la jeune femme ne manque pas de courage et reste droite dans ses bottes. Au coeur du conflit qui s’instaure entre Florence et la très collet-monté Violet Gamart, l’achat d’une vieille demeure du village, dans laquelle la femme du général souhaite créer une maison des arts et de la culture, dans la grande tradition du mécénat propre aux aristocrates faussement désintéressés. A partir de cet instant, Violet Gamart n’aura de cesse de saper le travail de la jeune libraire, trouvant sans cesse des prétextes pour entraver la bonne marche de sa librairie, faisant jouer ses nombreuses relations pour l’inciter à abandonner. Il faut dire que Florence est une amoureuse des livres et de la littérature, elle n’hésite pas à prendre de véritables risques, comme lorsqu’elle décide de commander 250 exemplaires du nouveau livre de Vladimir Nabokov, Lolita, roman sulfureux qui défraie la chronique à Londres et dont la mise en vitrine dans la librairie provoque un petit événement dans le village. Heureusement, Florence trouve aussi des soutiens au sein de cette petite communauté, notamment en la personne d’Edward Brundish (formidablement interprété par Bill Nighy), un homme qui vit seul dans son petit manoir depuis la disparition de sa femme quarante ans plus tôt, suscitant les hypothèses les plus farfelues et alimentant les commérages. Ermite amoureux des livres, il accepte de sortir de sa retraite pour soutenir la jeune libraire dans son entreprise, de loin mais avec beaucoup de respect et de fidélité.


Extrêmement délicat et empreint d’un profond humanisme, The bookshop aurait pu n’être qu’une énième variation sur le thème de la comédie romantique, mais la réalisatrice catalane réussit avec brio à adapter le roman de Penelope Fitzgerald en évitant tous les écueils de ce cinéma que les britanniques affectionnent tant. Alors certes, tout n’est pas parfait, certains personnages apparaissent quelque peu stéréotypés (Violet Gamart, aussi bête que méchante), voire totalement caricaturaux (au hasard, l’époux de Violet Gamart, portrait de l’aristocrate engoncé dans un maniérisme emprunté et totalement dénué d’intelligence), et le film joue beaucoup trop la carte du décorum de façade, s’appuyant un peu inutilement sur une photographie qui privilégie les tons gris (so typical !) et une architecture digne d’un village de hobbits (so british !). Mais il faut bien avouer que tout cela est très mignon. Heureusement, Isabel Coixet ne se laisse pas enfermer dans ces clichés si confortables et réussit à donner à son film davantage de fond et de substance À travers cette petite guerre intestine entre deux femmes de volonté, se cache une véritable révolution sociale, un combat pour faire émerger la modernité dans une communauté où les notables souhaitent envers et contre tout maintenir leurs privilèges et donc leurs règles (évidemment conservatrices au possible), et ce qui débutait comme un petit feel-good movie très sympathique se transforme en véritable tragédie. Au milieu émergent pourtant, comme une parenthèse hors du temps, deux figures magnifiques celle d’Edward Brundish et de Florence Green, belles par leur courage et leurs valeurs, touchantes par leur émotivité tout en retenue. C’est d’ailleurs cette émouvante relation entre deux êtres humains que l’âge et l’histoire passée séparent, loin des clichés, étonnamment lumineuse, qui donne à ce film ce petit supplément d’âme indispensable et font de The bookshop l’un des longs métrages à voir en ce début d’année.

EmmanuelLorenzi
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le 10 janv. 2019

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