Un polar sympathique dans des chaussures bien trop grandes pour lui

DES CHAUSSURES BIEN TROP GRANDES
Crevons l’abcès d’entrée de jeu : le principal problème de ce roman est de s’être vu attribuer un prix littéraire dont il n’est indubitablement pas digne. Alors effectivement, ce n’est absolument pas la faute de l’auteur, mais il n’empêche que bon nombre de lecteurs auront, comme moi, attaqué le roman en étant persuadé que c’était un grand livre, ce qu’il n’est pas.
C’est un peu comme aller voir un film dont on nous a dit beaucoup de bien. Par une espèce de mécanisme assez injuste du désir, le film devra être encore meilleur que sa réputation pour parvenir à satisfaire le spectateur qui aura fondé ses attentes sur les éloges qu’il en aura entendu.
C’est dire les gouffres vertigineux de déception dans lesquels ce roman plongera les lecteurs qui se sont fiés à ce grand prix de l’Académie française…
Car La 4ème de couverture pourra toujours nous vendre une critique sociétale de l’Amérique en filigrane de cette enquête sur le meurtre d’une adolescente. Dans les faits, L’affaire Harry Québert manque cruellement et de style (ça, on le comprend dès la première phrase du roman) et de fond (j’ai patiemment attendu – en vain -des centaines de pages ce paragraphe magistral qui allait justifier les honneurs reçus par ce roman).


UN POLAR QUI PARVIENT À MAINTENIR LE SUSPENSE JUSQU’AU BOUT
Une fois qu’on a pris ces précautions d’usage, qu’en est-il véritablement du roman quand on le considère pour ce qu’il est, à savoir un polar comme l’Amérique en produit des dizaines chaque année ?
L’investigation menée par l’écrivain Marcus Goldman est dans l’ensemble agréable à suivre, Joël Dicker parvenant à créer une communauté dans le New Hampshire suffisamment étoffée en terme de lieux, de personnages et de liens entre eux pour que de nombreuses questions en lien ou non avec l’affaire principale s’entremêlent et alimentent autant de fausses pistes que d’enquêtes dans l’enquête. L’auteur parvient à garder le suspense jusqu’au terme d’une investigation riche en rebondissements.
Signalons aussi que le grand intérêt du roman est de parvenir à mêler la recherche d’inspiration de l’auteur Goldman d’un côté et le destin tragique de Nola de l’autre. Harry étant le pont entre ces 2 histoires, étant le mentor de Marcus et l’amant de Nola. Dicker parvient plutôt bien à mener ces 2 destins et leurs points de convergence tout au long de son récit.


DES PROCÉDÉS TROP ARTIFICIELS
Le problème du roman est que Dicker a clairement cherché à faire durer son enquête le plus longtemps possible sans hésiter, pour y parvenir, à user de procédés qui nuisent à la cohérence et à la forme de l’œuvre.
Dicker égraine sans vergogne la découverte d’indices au maximum et dans l’ordre qui générera le maximum de fausses pistes et d’histoire parallèles. Ce procédé a pour conséquence d’user nerveusement le lecteur qui pestera souvent que Goldman doive aller voir 4, 5, 6 fois un personnage pour lui arracher une confession parfois parfaitement anodine. Même chose avec ces retours en arrière incessants qui, s’ils avaient été mieux dosés, auraient pu se révéler aussi efficaces qu’agréables mais deviennent franchement lassants en cassant sans arrêt le récit et sa chronologie.


Je pense sincèrement que Dicker aurait du amputer son roman de 150 pages (il en compte 650) et faire l’impasse sur certains découpages qui épuisent le lecteur et n’apportent pas grand-chose au final.
Au passage, il aurait du revoir la façon dont il utilise ses pages car d’accord, c’est important de passer du temps à poser ses personnages et de raconter leur histoire pour que le lecteur se les approprie, pour étoffer leur charisme et les rendre plus cohérents. Mais pourquoi alors faire autant dans le cliché ? La jeune serveuse qui rêve de se marier avec un homme célèbre, l’écrivain en manque d’inspiration, les parents juifs hystériques, le magnat des affaires louche etc…
Tout ceci est bien évidemment supportable mais n’aide pas particulièrement à avaler la lenteur de l’investigation.


DES INCOHÉRENCES GÊNANTES
Attention SPOIL
Commençons par « Les origines du mal » supposée être le chef d’œuvre de la littérature de ces 10 dernières années, tellement incroyable que Québert est adulé par les US toutes entières… Alors que les quelques extraits qu’on en lit sont d’une mièvrerie à faire rire n’importe quel élève de CM2. Difficile après ça de donner une quelconque importance aux leçons d’écriture que Québert prêche à Goldman et aux réflexions sur la littérature dont l’auteur nous gratifie. D’ailleurs, comment peut-on imaginer un auteur encensé pour retranscrire une investigation policière ? Ni Goldman, ni QUébert ni le monde de la littérature décrit par Dicker ne sont crédibles une seconde.
Plus gênant, Nola est supposée recevoir, sans le savoir des lettres de Caleb et en même temps retranscrire les manuscrits de Québert. Comment imaginer une seconde qu’elle ne s’aperçoive pas que ce n’est pas la même écriture ? Impossible donc d’imaginer qu’elle croie jusqu’au bout que c’est Harry qui lui a écrit ces fameuses lettres.
La toute fin comporte, elle-aussi, sa belle incohérence puisque Goldman nous explique que, pour rendre hommage à Caleb, il fait publier le roman de Québert (Les mouettes d’Aurora) comme s’il était le sien. Cela lui permet de ne pas révéler qu’Harry n’est pas l’auteur des Origines du mal tout en faisant entrer Caleb dans la postérité qu’il mérite.
Pourquoi alors nous annoncer en toute dernière page que le roman qu’il publiera finalement est celui qu’il tient entre les mains ? Pourquoi se donner tout ce mal pour rendre hommage à son ami et à Caleb si, au final, il publie un livre dans lequel il explique la supercherie qu’il a montée ?


AU FINAL

Passée la déception de la promesse d’un grand roman, ‘La vérité sur l’affaire Harry Québert’ se révèle être un bon petit roman de vacances auquel on passera ses incohérences pour ne garder que le souvenir d’avoir passé un moment divertissant à attendre (trop longtemps) le dénouement d’une histoire peu crédible mais suffisamment prenante pour qu’on se prenne au jeu jusqu’au bout.

Ouaicestpasfaux
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le 26 août 2014

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