Impossible de résumer convenablement ce roman ; ce n'est d'ailleurs pas souhaitable selon son auteur, qui ne déteste rien de plus que la question à laquelle chaque lecteur-rice s'est déjà trouvé-e confronté-e : "ça parle de quoi ?"
La plus secrète mémoire des hommes parle à la fois de l'écriture et de la littérature, de la place des écrivains francophones africains dans la littérature, de l'Afrique et de l'Europe, de la vie et sa fin (la mort et ses formes alternatives), de l'amour, de la haine et la malédiction, des rapports entre esthétique et politique. Tout ça dans une langue flamboyante, virevoltante, érudite sans jamais être écrasante, en empruntant à des genres différents : le roman est une enquête (littéraire), une biographie d'un écrivain fantomatique disparu et de quelques un-es de ses disciples qui le cherchent, un roman historique, tout en empruntant à la forme épistolaire et à la coupure de presse.
Les 100 premières pages sont un peu difficiles à passer, mais persévérez, et embarquez-vous avec Diégane Faye, l'apprenti écrivain à la recherche de T.C. Elimane, et rencontrez Siga D, une autre écrivaine sénégalaise, figure de mentor et autre narratrice. Le roman emporte le lecteur dans l'espace et le temps, à travers beaucoup de personnages liés les uns aux autres, mais toujours reconnaissables (la poétesse haïtienne, Mossane, le père et l'oncle d'Elimane, Aïda) car c'est là le talent de Mohamed Mbougar Sarr : il maîtrise absolument la narration. On peut avoir la sensation de s'y perdre, abandonner, reprendre le livre deux semaines après, et sentir après quelques pages si l'on est au Sénégal au milieu du XXème siècle, en Argentine après la guerre, ou à Amsterdam avec Diégane et Siga D. Par sa structure, sa qualité littéraire, et son propos politique, c'est assurément un grand Goncourt.