Je m’étonne que les médias soient restés en surface sur ce prix Goncourt attribué à Mohamed Mbougar Sarr, à savoir qu’il s’agissait d’un livre œuvrant pour la reconnaissance de la francophonie et de la valeur réelle de la littérature africaine. Il y a tellement plus à dire sur le contenu même de La plus secrète mémoire des hommes. En effet, la quête du narrateur, Diégane Faye,autour d’un auteur sénégalais TC Elimane et de son livre Le labyrinthe de l’inhumain, distille tellement d’autres réalités.Beaucoup de personnages du livre de Mbougar Saar ( Diégane, Stanislas,Siga D, Élimane,Aïda,Musimbwa) sont des exilés et qu’ils doivent sans cesse composer avec ce caractère fondamental de leurs identités.Le lecteur perçoit à travers leurs destinées l’écho de leurs trajectoires rentrant forcément en résonnance.L’histoire du livre égaré d’Elimane est aussi un prétexte pour décrire la vie des personnages s’y intéressant de près ou de loin, car ils sont plus ou moins passés par les mêmes sentiments de déracinement au delà du sens qu’ils veulent bien donner à leurs vies.Et peu importe qu’ils aient vécu au début du vingtième siècle ou au début du vingt et unième.Quand Mohamed Mbougar Sarr raconte le mauvais accueil du livre d’Elimane accusé de plagiat comme quand il décrit le mauvais accueil des livres de Siga D connaissant le scandale et des procès en justice, vous avez l’impression que l’histoire se répète, qu’il y a comme une psychogénéalogie terrifiante chez les Diouf. C’est une des réalités du livre qui vous renverse et vous bouleverse à la fois.Ce que j’ai beaucoup aimé aussi dans le style de l’écrivain, c’est de mélanger une façon bien occidentale dans la narration avec une façon bien africaine de décrire ( digne des grillots, ces fabuleux conteurs).Voyager entre ces deux styles donne une cohérence des influences qui s’alimentent, se télescopent et s’unissent.Et finalement de mettre sur un pied d’égalité deux cultures qui se respectent bien plus tard que les écrits nauséabonds à la sortie du Labyrinthe de l’inhumain considérant Elimane comme un Rimbaud nègre. Le pied de nez de Mbougar Sarr étant de prouver les dérives fictives d’une critique française pas plus inspirée depuis l’intégration des tirailleurs sénégalais dans l’armée. Le voyage d’Elimane, au fur et à mesure des pages, s’affine également. Tout d’abord mythique aux yeux de ceux qui veulent saisir sa vérité, il s’avère plus sensible lors des recherches du jeune homme pour retrouver son supposé père mort sur le front. A la fin du livre, la vérité des voyages sud-américains d’Élimane, prennent aussi tous leurs sens. Ce qu’il y’a de prodigieux dans La plus secrète mémoire des hommes, c’est d’arriver à doser les révélations à propos et de les motiver suite à des événements dans la vie de Diégane ( rencontres, récits anciens,etc…) et d’y conférer une fort pouvoir d’évocation, peu importe le continent où l’action se déroule.L’auteur, malgré un découpage plutôt complexe en apparence ( journal, grandes parties/sous-parties), a conduit son récit d’une main de maître et j’ai beaucoup aimé sa façon de mettre en relation Diégane et les autres personnages.Chacun d’entre eux a son importance et a quelque chose à lui apporter sur le chemin ( une discussion, un amour, une dispute, une incompréhension…) et il ne dédaigne jamais leurs apports dans sa vie. La dernière partie du livre ( où Diégane saisit les derniers moments d’Élimane dans son village natal) est comme un apaisement car les ultimes vérités sont apportées et pesées.On peut comprendre le jeune homme dans cette volonté de ne plus réactiver des histoires du passé et de refuser d’être un « exécuteur testamentaire » docile.Cette façon salutaire d’être de retour à lui-même en pensant enfin à lui vous fait refermer le livre, satisfait et serein. Conseillez ce livre multiple et abouti, car il mérite une place de choix dans la considération absolue de ses lecteurs.