La mémoire écorchée d’un prisonnier de guerre

Découvert grâce à Xavier Boissel, libraire invité à la librairie Charybde en septembre 2014, «La peau et les os» témoigne des cinq années de captivité en oflag de Georges Hyvernaud, de 1940 à 1945. Publié des décembre 1946 dans "Les Temps modernes", il fut ignoré lors de sa publication, comme on refusait alors d’écouter les récits des prisonniers et des déportés.

Ce récit terrible témoigne d’une expérience humaine humiliante et destructrice, souffrance aggravée par la surdité des proches et du public après la guerre, concentrés sur leurs propres malheurs («on en a bavé») pour ne pas avoir à écouter les récits indécents de captivité, de la souffrance médiocre mais inhumaine de l’homme rabaissé au rang de bête dans les camps de prisonniers.

«Mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D’abord ils manquent de noblesse. Ils sont même plutôt répugnants. Ils sentent l’urine et la merde. Ça lui paraîtrait de mauvais ton, à la Famille […] Nous n’avons à offrir, nous autres, qu’une médiocre souffrance croupissante et avachie. Pas dramatique, pas héroïque du tout.»

Ce que raconte Hyvernaud, en cherchant à retranscrire cette expérience le plus fidèlement possible, dans toute son abjection, c’est une métamorphose de la condition humaine, l’anéantissement de la possibilité du bonheur par cette expérience de la promiscuité et de l’avilissement.

«Ce qui m’intéresse, c’est de dire sans tricher ce malheur mou, ce malheur bête où nous pataugeons.»

La captivité qui défait l’homme et lui fait perdre sa dignité, la faim, la nudité et l’humiliation de faire partie d’un groupe de prisonniers confondus les uns avec les autres comme des larves, est rendue encore plus misérablement palpable par la banalité vulgaire des noms des «compagnons» de détention d’Hyvernaud : Pochon, Vignoche, Tronc, Pimbard, Beuret et Chouvin.

«On se figurait qu’on était à part, qu’on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l’odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d’hommes.»

Perte d’humanité dont souffrent aussi les pauvres, qui comme les captifs sont privés de leurs rêves, de leur solitude et de leur dignité, et, au-delà de la guerre, Georges Hyvernaud dresse finalement un réquisitoire violent contre la pauvreté et ceux qui la préservent.

«Rien ne compte plus pour un homme qui ne compte pas.»
MarianneL
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le 11 nov. 2014

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