Contient des spoilers (même si leur teneur ne constitue pas de grandes surprises durant la lecture, et j'en suis le premier navré)

Adrien Tomas ne m'a pas convaincu.
Relativement jeune le garçon, et je n'exclus pas pour autant de lire son roman précédent, primé aux Imaginales 2012.
Il n'empêche que tout ceci a un goût d'inachevé et de mélange pas toujours heureux.

Mais quelque part, il m'incite à une réflexion assez profonde sur un pan de la littérature que j'affectionne tout particulièrement : la fantasy.
En aurais-je trop lu ?
Ou est-ce que, par hasard, Tolkien n'aurait pas tué dans l’œuf un genre qu'il a pour ainsi dire fondé, en l'explorant de manière trop parfaite, trop extensive ?

L'une des meilleures sagas que j'aie eu le plaisir de lire, hormis celles se tenant en Terre du Milieu, était la Belgariade d'Eddings.
Pourtant, cette dernière avait déjà des relents Tolkieniens, elle aussi.
Pas forcément désagréables, plutôt bien utilisés même, mais présents malgré tout.

Il y avait un vieux sorcier un peu grincheux, un jeune innocent mal dégrossi, un peu bouseux.
Une prophétie, des enjeux titanesques, des quasi-immortels, de la magie. Notablement, pas d'elfes ni de nains.
Mais l'ensemble avait une consistance et une cohérence que l'on retrouve bien trop peu chez les divers clones.

On en revient à l'un de mes chevaux de bataille : l'originalité pour l'originalité. Ou pourquoi il faut l'éviter à tout prix.
Elle n'est à mon avis pas souhaitable en tant que telle, tellement on sent quand le contenu d'un ouvrage est ainsi contraint, et que cette quête d'individualité nuit au récit proprement dit.
Mais à l'inverse, en faisant bouillir la même marmite inlassablement, avec la même soupe, ne risque-t-on pas l'indigestion ?

Tomas applique ici des recettes éprouvées, taquine des règles tacites bien établies, sans jamais trop les bousculer.
Très franchement, on connaît 90% de la trame du bouquin après un chapitre. Ce n'est pas toujours désagréable, d'ailleurs pour être complètement honnête cela se lit sans réel déplaisir dans le cas présent.
Mais à côté de cela, il y a de profonds regrets pour tout ce que le roman n'est pas, pour ces quelques pousses fragiles, quelques germes d'idées prometteuses qui sont laissées en friche et se laissent envahir irrémédiablement par la mauvaise herbe.

L'univers évoqué dans La maison des mages (et, au vu du titre, je soupçonne fortement que La geste du sixième royaume traite du même et en pose les bases) est relativement cohérent et frais, sinon inédit.
Les personnages essaient brièvement de se démarquer, avant de se fondre dans le moule confortable et conformiste des héros d'épopées similaires, trouvant leur noblesse au meilleur moment, transcendant leur condition initiale pour sublimer le récit... En tout cas c'est l'intention.
L'histoire est en outre jalonnée d'idéaux tout à fait admirables, brassant des thèmes intemporels certes mais malheureusement teintés d'un peu trop de naïveté et manquant de subtilité pour toucher la corde sensible du lecteur.

Car si je ne critique aucunement les intentions de l'auteur, ce second roman souffre de sa forme, maladroite et souvent pataude.
À l'instar de l'un de ses contemporains et néanmoins compatriote, Mathieu Gaborit pour ne pas le nommer, il tisse un écheveau clair et riche (indiscutablement un peu lisse, mais bon passons), s'illustre honorablement dans les descriptions et intrigues, pour se vautrer lamentablement lors des scènes à forte charge émotive ou d'action pure. Ces dernières sont évacuées au pas de course, avec toute la finesse d'un Mûmak ivre.
Ainsi, il traite par-dessus la jambe ses romances, ses combats qui pourraient être épiques, les blessures de ses personnages et, pire, jusqu'à leur trépas ne bénéficiant guère d'un soin particulier. Les twists sont primaires, les décès brutaux et souvent oubliés aussitôt.

Si je voulais faire mon vieux con bougonnant dans son antre, je dirais que c'est l'exact reflet de cette génération hyperactive, incapable de se fixer sur une idée plus de 5 minutes d'affilée. Untel se découvre une destinée exceptionnelle, un cœur d'or au détour d'un paragraphe, sans que l'on en fasse grand cas. Les protagonistes affrontent l'adversité tambour battant, qui guérissant en un chapitre d'une paralysie complète, qui revenant d'entre les morts pour le happy end.
La narration empruntée à George R.R. Martin (à un chapitre correspond le point de vue ou le vécu d'un personnage) ne suffit certes pas, loin s'en faut, à enrayer cette dynamique. Tomas semble avoir oublié que, pour rendre efficace son procédé, Martin dispose de quelques milliers de pages, pas 400.
Les enjeux sont trop grands, les retournements trop rapides et convenus, les personnages pas assez attachants car trop pléthoriques et trop peu développés. L'ambition démesurée de l'auteur souffre d'un manque flagrant d'espace et de temps. Une tempête dans un verre d'eau, qui ne risque certes pas de vous faire mouiller un seul cil.

J'attendrai une hypothétique lecture du bouquin de 2011 pour le confirmer, mais je commence à soupçonner qu'il en va des prix littéraires comme des récompenses dans le cinéma : ils ne couronnent pas toujours des œuvres remarquables, ni par leur originalité ni dans leur exécution.
La lourdeur des phrases et des techniques d'écriture en général ne rendent guère service à un scénario épique mais laborieux et, pour dire l'ampleur du phénomène, j'en suis à plusieurs reprises venu à me demander si ce n'était pas le résultat d'une traduction foireuse (car c'est un mal dont la fantasy souffre sur une base régulière).
Mais non, cocorico, il est bien français. Je ne sais si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle...

J'en reviens à mon propos initial, la boucle sera bouclée.
La fantasy est-elle le vilain petit canard du 5ème art ? Le parent pauvre, le cousin machin, le vieil oncle alcoolique que l'on ose à peine sortir aux mariages ? Tolkien, ayant donné ses lettres de noblesse et une reconnaissance populaire à un genre pluricentenaire, l'a-t-il par là même condamné à tourner en rond, étriqué dans des conventions trop strictes, a fortiori en regard du foisonnement de bouquins s'en revendiquant qui sortent chaque année ?
Car bon sang, les nains et elfes ne sont pas si chiants que cela, ni même caricaturaux à la base. Est-ce la peur de se faire fusiller si l'on déroge aux canons du genre ? Le manque d'audace ? D'imagination ? Je n'ose le croire.

J'aime par exemple profondément ce que Fetjaine a fait de la mythologie elfique en lui rendant sa dimension arthurienne. De façon plus anecdotique, je conserve la certitude (et le regret associé) que Tomas tenait les prémices d'un peuple elfique, et plus généralement d'un univers, riches de leur individualité et de leurs particularités.
Je veux croire qu'il poussera son exploration plus avant, mais en l'état cela ne semble pas ouvert dans cette voie si j'en crois la conclusion du présent ouvrage, et même à supposer que ce soit le cas, je suis au mieux dubitatif concernant le découpage qu'il a choisi et la densité bien trop importante de son récit.
C'est épileptique et bafouillant, comme si on faisait lire du Shakespeare à un bègue qui ne connaît pas l'anglais et souffre d'un retard mental. On a du mal à l'apprécier, peu importe la qualité du matériau initial. C'est même un peu gênant par moments.

Mon vœu le plus cher est qu'Adrien Tomas trouve un bon orthophoniste avant d'écrire son prochain roman. Je serai là pour lui laisser une nouvelle chance.
SeigneurAo
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le 20 févr. 2014

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SeigneurAo

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