Mystérieux dévouement dans la prison du mariage

Julie d'Aiglemont, fraichement mariée à un colonel de l'empire, déchante précipitamment, s'apercevant tardivement que derrière la belle façade séductrice de l'officier militaire s'y trouvait un homme peu spirituel, grisâtre et insipide.
Attachée à son honneur et acceptant scrupuleusement mais avec résignation les lois du mariage, elle s'enterre consciemment dans une fatalité morbide, au point de songer à mettre fin à ses jours. Sa beauté, ses traits fins, sa parole rare, attire magnétiquement les hommes de la cour prétendant à devenir son amant, ses sentiments ne sont toutefois jamais troublés, Julie reste placide, elle tient à conserver sa dignité.
A force d'audace et de persévérance, un jeune lord anglais, Arthur Grenville, se rapproche avec patience de Julie, prétextant être médecin et désirant à tout prix soigner une maladie d'esprit de Julie qui semble incurable.
Le jeune médecin anglais fait des prouesses par sa seule compagnie, l'état de santé de Julie s'améliore et son mari, Victor d'Aiglemont accepte la présence régulière de l'anglais à ses côtés.
La folie romantique d'Arthur finit par percer le coeur de Julie, qui lui consent un amour platonique mais sans avenirs, ce qui n'empêchera pas Arthur de continuer ses visites.


Ici vous pouvez spoiler


Arthur décéda promptement après s'être caché dans une chambre de Julie au moment où son époux venait la voir. Julie souffre en silence, la solitude lui pèse d'avantage au fil du temps, elle n'a comme demi-consolation une fille, Hélène, qu'elle élève consciencieusement mais sans affectuosité maternelle, Hélène étant le fruit d'une adultère du côté de son époux, elle n'a aucun lien biologique avec Julie, ce qui lui provoque une sorte de dégoût pour sa propre fille.
Julie se sépare de fait de son époux et mène désormais une vie bourgeoise dans un vieux château de province, concrétisant sa solitude. Elle a pour seule visite, un prêtre local qui vint à son secours, ayant bien constaté la détresse morale de Julie. Malgré la fermeture totale de Julie envers tout type de religion, elle trouva auprès du curé un confident avec lequel elle déverse son torrent de souffrances. L'habile persuasion du prêtre, sa gaieté rare, sa sensibilité ne change rien à l'état d'esprit de Julie, bornée, entêtée volontairement dans son malheur, maintenant une rancune tenace envers le destin qu'on lui propose.
Julie a désormais trente ans, est revenu sur Paris, et flâne passivement dans les salons parisiens. L'originalité de sa démarche et de son attitude passive lui vaut d'être remarquée par un diplomate, Charles Vandenesse, qui, las des femmes superficielles des salons parisiens, est vite fasciné par cette mystérieuse créature solitaire. Julie accepta comme avec Arthur cette sorte de relation ambiguë mêlant amitié et amour avec toute la pudeur d'une femme mariée respectueuse. Une fois encore, Julie résiste fermement aux avances indirectes peines de tacts du diplomate mais finira par céder.
On poursuit dans le temps la vie de Julie et cette fois-ci c'est sa jeune fille, Hélène, intelligente, d'un fort caractère pour son âge, développe à la fois une sensibilité et une rancoeur d'esprit envers sa mère. Julie a eu un fils avec Charles, qui sera originalement dénommé Charles... Ce Charles fils sera poussé violemment par Hélène dans une rivière où il succombera, mouvement de violence inspiré par la haine d'Hélène envers son demi-frère, fruit d'une relation adultérine. Hélène n'avait pas pour autant l'intention de le tuer en le poussant à la rivière, aussi elle développa des amers regrets qui renforceront davantage son caractère.
Les années passent... La famille s'agrandie, de nouveaux enfants égayent le cocon familial, la vie est paisible. Un évènement troubla cette quiétude, un assassin en pleine fuite trouve refuge désespérément dans la demeure familial des époux d'Aiglemont. La famille réalise quelques heures après la réception de l'inconnu qu'il était un assassin. Sa fille Hélène l'avait aperçu en secret au moment où l'on prêtait encore l'innocence et s'attacha à lui au point qu'elle s'évada avec ce dernier de façon rocambolesque. L'assassin avait beaucoup d'autorité personnelle, il était spirituel, fin et un brin manipulateur, aussi le goût de l'aventure emporta irrésistiblement la jeune Hélène, la mal-aimée rebelle de la maison, au détriment de l'honneur de sa famille. Il s'en suit tout un tas de péripéties par lesquelles Victor d'Aiglemont, après d'être ruiné, s'en va refaire fortune en Amérique. Après 5 ans d'expédition, il retourne en France, étant capitaine d'un navire aux multiples trésors dont il prendra la part du lion, il est brusquement attaqué par l'un des meilleurs pirates de son temps, auquel son navire n'offre peu de résistances. Il est gracié au dernier moment par le capitaine du bateau pirate, qui n'est autre que l'assassin en question qui a reconnut Victor et lui témoigne la gratitude de l'avoir sauvé lorsqu'il était en fuite. Sa fille se présente à son père comme l'exact opposé de sa mère, elle admire en tout point son compagnon, agit comme une reine souveraine et bienveillante à son égard mais aussi avec tout l'équipage et se fiche éperdument des risques que supposent la vie de pirate. Peu lui importe que sa vie soit interrompue soudainement par un naufrage pour peu qu'elle ait été épanouie lors de sa courte aventure. C'est exactement ce qui se passa quelques années plus tard, mais elle survécut au naufrage avec un seul bébé en main et échoua sa vie dans un hôtel où sa propre mère l'a découvrit par hasard. Sa mère eut à peine le temps de la secourir qu'elle décéda à ses côtés, en lui affligeant quelques dernières paroles destructrices et culpabilisantes.
Au dernier chapitre, Julie est veuve et vieille, et a pour seul enfant Moïna, à qui elle sacrifia sa fortune, son temps et ses espérances. Moïna est mariée grâce à la diplomatie de sa mère à un jeune homme issu d'une grande famille. Moïna est heureuse mais ingrate, enfant gâté, elle a tout pour elle et profite d'une excursion de son mari pour céder aux avances d'un amant peu recommandable. Sa mère, protectrice et bienveillante veut lui prodiguer des conseils pleins de sagesse pour la dissuader mais Moïna daigne l'écouter, se permettant même de la mépriser. Ce mépris envers Julie sera le dernier coup fatal qui provoque sa mort subite aux côtés de sa fille, fille qui sera soudainement consciente des qualités morales de sa mère.
Du point de vue du style, Balzac nous régale de phrases profondes, énigmatiques, métaphoriques traduisant l'état d'âme d'une femme mariée dans ses espérances et ses déceptions. Il y a plein de raisons de ne pas aimer cet ouvrage, notamment car cela peut paraitre comme une superposition maladroite de nouvelles écrites à des périodes différentes et c'est en partie vrai, le style et l'ambiance étant modifié à chaque nouvelle, ce qui peut surprendre. J'apprécie la personnalité de Julie, naïve et aveuglée d'enthousiasme au début et qui développe une fermeté de caractère à la fin du livre qui lui donne du mérite dans ses combats, même si elle est constamment résignée sur son sort. Oui elle se pose dans un état victimaire et fataliste, pleure assez souvent, mais elle sait aussi dominer son époux, quoiqu'étant soumise par le mariage. Elle concilie les devoirs du mariage avec les joies d'un amant, sans compromettre l'honneur de son époux, qu'elle méprise pourtant. C'est un état de fait complexe, les personnages ne sont pas binaires.

EtienneBernard1
9
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le 4 sept. 2021

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Etienne Bernard

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