L’homme éternel est une réfutation de The Outline of History, la profession de foi progressiste de H.G. Wells : si le progrès (humain) existe, il s’incarne dans le Christ. Le style n’est pas sans rappeler celui de Blaise Pascal, Chesterton pratique avec une égale aisance longues argumentations paradoxales et formules lapidaires et ironiques. Trop riche pour être résumable, trop fin pour être aisément critiquable, je vous livre quelques-unes de ses réflexions, espérant vous inciter à le lire.


1 – L’évolutionnisme exigeant un chainon (manquant) entre le singe et l’homme moderne, l’homme des cavernes est décrit par archéologues et romanciers comme une brute misogyne, bestiale et épaisse. De qui se moque-t-on ? Que n’extrapolent-ils pas de fragments de maxillaires ? La seule certitude dont nous disposons, c’est que les hommes qui ont peint ces grottes étaient des artistes. Si nous ignorons tout de leurs motivations, admettons qu’ils avaient le sens du beau. « Plus on regarde l’homme comme un animal, plus il est clair qu’il en est pas un. » P27


2 – La dictature ne précède pas, historiquement et fatalement, la démocratie. Au contraire, de nombreuses sociétés démocratiques se sont données des tyrans, au grand dam de l’idéologie du progrès. « J’ai affaire à une opinion vague et répandue qui mis à la mode une idée gravement faussée de l‘histoire de l’humanité selon laquelle l’homme descend du singe et le civilisé du barbare de sorte qu’on a toujours la barbarie derrière soi et la civilisation devant soi » P74


3 – Les anciennes mythologies cachaient une vérité enfouie, réservée aux seuls initiés : l’existence d’un « Grand esprit », dieu unique, créateur mais oublié.


4 – Carthage se voua au diabolique Baal, la divinité des sacrifices humains. Nombre de paganismes ont succombé aux appels du Mal. L’honneur de Rome fut d’y résister. Elle détruisit Carthage.


5 – Le christianisme n’est pas une religion parmi d’autres. Chesterton la distingue de toutes les autres, qu’il répartit entre paganismes et philosophies.
• Les païens n’ont jamais cru en leurs divinités comme un chrétien croit en Dieu, tout au plus adoraient-il des idoles, ce qui n’a pas le même sens.
• Les philosophes « raisonnables » méprisaient les mythologies des prêtres.
« Le paganisme était une tentative d’atteindre les réalités divines, sans le recours de la raison, par la seule vertu de l’imagination. C’est un fait historiquement essentiel que la religion et la raison sont demeurées étrangères l’une à l’autre, même dans les civilisations les plus rationnelles. (…) En réalité les fleuves parallèles de la mythologie et de la philosophie ne mêlent nulle part leurs eaux avant de se rencontrer dans la grande mer chrétienne. Les laïcistes continuent à professer que l’Eglise a introduit une sorte de schisme entre raison et la religion. La vérité est que l’Eglise fut la première à tenter de les associer » P115-116


6 – « Le pessimisme n’est pas la lassitude du mal, mais la lassitude du bien. Le désespoir ne consiste pas à se fatiguer de la souffrance, mais à se fatiguer de la joie. » P163 Le monde antique était rongé par le pessimisme, que nous retrouvons dans les hérésies chrétiennes : soit, le monde est mauvais, et seul l’esprit compte ; soit, le monde est factice, et l’humain est appelé à se diluer dans le Tout autre. Au contraire : « L’assurance chrétienne repose sur l’affirmation d’une réalité extérieure. Elle se fonde sur la certitude que le monde existe, que les choses sont et qu’elles sont vraiment des choses – ce que dit aussi le simple bon sens. Mais le bon sens ne pèse pas lourd, l‘histoire des religions le monte, quand le christianisme ne le protège pas." P142


7 – N’enterrez pas trop vite le catholicisme. « En cinq occasions au moins — l'arianisme, les Albigeois, l'humanisme sceptique, l’après-Voltaire et l’après-Darwin — la foi parut condamnée. Et cinq fois, elle a enterré ses vainqueurs. (…) Que n'a-t-on pas dit du mouvement d’Oxford et du renouveau parallèle en France ? (…) Car cette surprenante renaissance catholique était aussi une énigme. Aux yeux de la plupart des gens, la rivière semblait désormais couler à l'envers, remontant de son embouchure vers ses montagnes natales. Quiconque a fréquenté la littérature du dix-huitième et du dix-neuvième siècle sait que tout le monde ou presque se représentait alors la religion comme un fleuve qui ne cesse de gagner en largeur tout au long de son cours, jusqu'à ce qu'il se dissolve dans la mer infinie. Certains pensaient qu'une cataracte interromprait son cours en catastrophe. Le plus grand nombre attendait qu'elle s'élargisse en un estuaire paisible. Tous auraient tenu pour une sorcellerie qu'elle inverse son cours. (…) Beaucoup voyaient venir avec crainte, un petit nombre avec sympathie, la révolution jacobine qui guillotinerait l'archevêque de Cantorbéry ou l'émeute libertaire qui pendrait les curés aux réverbères. Alors, par un prodige qui leur parut contre nature, l'archevêque qui devait perdre la tête reprit sa mitre, et notre respect des dignitaires ecclésiastiques, loin de diminuer, s'étendit aux plus humbles prêtres. Cette révolution à l'envers, contraire à toutes leurs prévisions, les laissa pantois. » P275-276

SBoisse
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le 1 nov. 2016

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Step de Boisse

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