Lors des funérailles de son grand-père, Simon apprend que celui-ci eut, à la fin de la guerre, un enfant d'une Allemande chez qui il était hébergé. C'est Franz, son oncle par alliance, qui le lui révèle. On le nommera M. L'information va travailler en profondeur le narrateur. D'autant plus que, écrivain, il avait imaginé une telle intrigue dans l'un de ses romans. Troublant. Sa grand-mère, qui avait évidemment mal vécu cette infidélité, lui interdit formellement de chercher à retrouver M le maudit.

Parallèlement, Simon est en train de rompre avec sa femme "A". La solitude de M., en manque de son géniteur, répond donc à la sienne en tant que père. On apprendra aussi que Franz fut un enfant abandonné, d'où sans doute son intérêt pour le sort de M.

Pourquoi L'enfant dans le taxi ? Car Simon va apprendre que, il y a de cela bien longtemps, M. tenta de provoquer la rencontre avec son père en prenant un taxi depuis l'Allemagne. Un geste audacieux, qui dit tout du désespoir du garçon alors. Las, le vieux Malusci ne l'affrontera pas.

L'enquête mène Simon au bord du lac Constance avec ses deux garçons, mais notre détective en herbe s'est trompé de M. Il finira par le retrouver, avec l'aide de Franz, le roman s'achevant sur le seuil de la porte du vieux monsieur qu'est devenu M.

Qualitativement, le roman suit une courbe en U. Il démarre très bien, avec ce prologue narrant l'acte fatal dans une ferme allemande, puis avec l'enterrement de Malusci et la fameuse révélation. Il chute ensuite stylistiquement. Sylvain Prudhomme verse dans le maniérisme, par exemple page 67, avec cette série de paragraphes très courts :

"La paix.

Bien sûr la paix.

J'avais pensé que moi aussi j'avais envie de paix, que tout le monde avait envie de paix.

J'avais regardé la mer tranquille baignée de soleil [bof] au loin et j'avais songé à l'incroyable puissance de ce mot : la paix.

A sa séduction presque trop facile.

Qui ne désire pas la paix."

On frôle l'indigence. Je mentionne pour mémoire cet autre tic poseur propre aux éditions de Minuit qui veut qu'on ne met jamais de tiret dans les dialogues. S'y ajoute ici des paragraphes commençant pas des minuscules. Assez gratuit.

On regrettera aussi certaines phrases très peu littéraires comme, page 72, "De toute façon la nouvelle devait déjà se savoir. La ville était toute petite et nous-mêmes savions quels couples allaient bien, quels autres au contraire vacillaient". Ou encore, page 89 : "Le père avait une pièce où il pouvait stocker ce qu'il voulait : son atelier. Là il avait le droit de garder toutes les planches abîmées, tous les vieux boulons et même les bouts de ficelle qu'il pensait un jour réutiliser."

Bref, le niveau chute. Et tout à coup, à la faveur d'un colloque réunissant plusieurs écrivains et d'une escapade nocturne de quatre d'entre eux, Sylvain Prudhomme se lance dans une très longue phrase, qui ne manque pas de souffle. Stefan le Suédois propose une virée, page 115, et la langue s'emballe, ce qui fait un bien fou, provoque une sensation de libération. Et, de fait, Simon passera la nuit avec Veronika. Une sorte de réponse à l'adultère de Malusci mais, alors que ce dernier fut source de souffrances autour de lui, le geste de Simon est plutôt émancipateur. La race s'améliore. On retrouvera une autre logorrhée page 139, lorsque Simon cherchera à se mettre dans la tête de son grand-père. Puisque Le dossier M s'est imposé à moi comme titre, je ferai le rapprochement avec le style de Grégoire Bouillier, qui joue aussi sur les contrastes entre phrases longues et courtes. Toutes proportions gardées quand même : Prudhomme ne joue pas dans la même cour.

Les paragraphes très courts reprennent ensuite mais plus inspirés, comme si le narrateur avait déteint sur son démiurge. Bien aimé cet éloge du regard de touriste, que j'ai toujours défendu aussi. Page 167 : "j'ai repensé aux promesses que nous nous étions faites mille fois, de réussir à vivre en touristes dans notre propre ville, avec un émerveillement de touristes, des envies de péniches et de dîners aux chandelles de touristes". Qui a voyagé cherche en effet à conserver de retour chez lui l'enthousiasme du touriste et son attention toujours en éveil.

Page 187, un assez beau développement sur la bâtardise : "J'ai songé au mot qui servait communément à nommer les M. et les Franz : des bâtards. J'ai pensé que naître bâtard c'était savoir d'avance que les autres ne vous feraient pas de cadeau. C'était apprendre d'emblée le grand partage entre ceux qui osaient nommer les choses et ceux qui préféraient les taire."

Ainsi l'auteur parvient-il à captiver jusqu'à l'issue du roman, après un passage à vide en son milieu. Sans doute a-t-il bien fait de conclure sur le seuil de la porte de M.

Jduvi
7
Écrit par

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le 29 mars 2024

Modifiée

le 29 mars 2024

Critique lue 19 fois

Jduvi

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