La SF comme critique sociale au XVIIe siècle (plus un combat de pokémons)

Cyrano de Bergerac n’est pas que le héros de la pièce d’Edmond Rostand, c’est un personnage historique, et l’auteur d’un certain nombre de textes. Lorsqu’Edmond Rostand s’inspire de lui pour son personnage, il reprend ainsi bon nombre de faits et d’histoires réels bien que sans doute déformés.

Le combat contre 100 bandits ? Inspiré d’un fait réel. Le guerrier-poète, Cyrano l’était bien. Et si bien sûr Cyrano n’a jamais réellement visité la lune, cette référence se fait à un texte qu’il écrivit et ne fut publié qu’après sa mort en 1657 : Histoire comique des états et empires de la lune.

Ce texte fut suivit d’un second : Histoire comique des états et empires du soleil, publié cinq ans plus tard en 1662. Dans ces deux textes, Cyrano de Bergerac utilise le ressort classique d’un récit de voyage vers des contrées imaginaires pour critiquer la société de son époque et proposer d’autres idées. On a donc on alternance de réflexions absurdes et comiques qui présentent soit un point de vue original, mais volontairement exagéré pour l’aspect comique, soit se font le miroir de la société pour mieux en souligner l’absurde et la bêtise en les parodiant. Par exemple pour le premier cas nous avons les habitants de la lune qui se nourrissent uniquement d’odeurs et qui utilisent des poèmes comme monnaie, et pour le second nous avons un procès intenté à l’encontre du narrateur, Cyrano lui-même, par des oiseaux qui l’accusent de ne pas avoir d’âme puisqu’il est humain et il leur parait évident que seuls les oiseaux ont une âme.

Le livre est plein de ce genre de discussions et de réflexions, c’est avant tout un livre philosophique, selon le terme de l’époque, ce qui inclut donc la philosophie naturelle, c’est à dire la science. Et vu qu’il discute beaucoup de notions qui sont aujourd’hui dépassées et avec un vocabulaire qui est lui aussi dépassé même quand la notion ne l’est pas, ça perd beaucoup de son intérêt pour un lecteur moderne comme moi, à moins d’investir temps et énergie pour se mettre dans le bain.

On retrouve tout de même ici et là quelques réflexions très modernes, (et même un combat de pokémon presque à la toute fin) et il est aisé de comprendre la critique dirigée contre la société, et tout ce qu’elle pouvait avoir d’absurde dans ses règles. Cyrano se pose en rebelle, en libertin, ce qui explique que le texte ne parut pas de son vivant.

J’ai ordinairement plaisir à lire des textes anciens, dont j’aime beaucoup le style, mais 1650, c’est peut être trop ancien pour moi. Le texte est assez court, mais la lecture en fait tout de même pénible. « Montrer et ne pas dire » est une règle du roman moderne, mais Cyrano de Bergerac comme beaucoup d’auteurs anciens a tendance à dire bien plus qu’il ne montre.

L’intérêt est avant tout historique, le texte ne sort pas de nul part, il est inspiré sans doute par des textes bien plus anciens, antiques, ainsi que par des parutions qui étaient alors récentes, comme l’Utopie de Thomas More, et il en a inspiré d’autres à son tour comme Edgar Poe, et, peut être, Le voyage de Gulliver. On peut difficilement parler de science fiction, mais il s’agit bien d’un ancêtre de la science fiction qui se trouve être écrit par un auteur qui deviendra lui-même héros de fiction, et quel héros. Cette dualité est, je crois, assez unique et rend le personnage, réel et imaginaire, de Cyrano fascinant.

Critique tirée de mon blog.