L'Anarchie
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L'Anarchie

livre de Élisée Reclus (1896)

L’insubordination va de pair avec notre constante soif de liberté. Elle s'en fait d'autant plus nécessaire lorsque la contemporanéité de notre Temps est troublée par l'urgence de la Révolte Sociale. Elle est une, sinon LA réponse adéquate d'un Peuple lassé des turpitudes grossières d'un pouvoir inconséquent. S'y ajouterait l'éclat d'un désenchantement massif et inéluctable que nous en serions réduits à la seule Désobéissance Morale. Le socle de la Démocratie s'est de longue date abrogé à la seule force d'une Constitution centralisante, éructant avec forces arguments la Vérité d'une Liberté galvanisante à sa seule obédience. Ne fut-ce la célèbre Révolte Antérieure d'une population corrompue par l'appel d'une Monarchie Bourgeoise, nous en oublierions aisément que notre Récit National est pourtant émaillé d'une Histoire de la contestation. Certains rétorqueront que le passé est affaire entendue, que l'avenir est la seule ligne d'horizon qui vaille. D'autres que chaque époque se suffit à elle-même, que chaque siècle soulève son lot d'indignation plus ou moins perspicace et qu'il en est ainsi du bons sens. Les plus libertariens clameront qu'il est au contraire plus que jamais temps de se soustraire à la seule Force Unitaire pour inventer un autre chemin possible.


Qu'en est-il réellement de cette "Anarchie" fantasmée ou recherché qui traverse nos prérogatives depuis les débuts de L'Humanité? La Grèce, berceau de la civilisation moderne, n'avait-elle pas édictée une philosophie de la libre pensée? Ne devons nous pas aux plus grands philosophes et intellectuels des années précédentes et actuelles une réflexion sur le devoir de désobéissance insurrectionnelle? Il est certain que les plus effroyables conflits et les pires asservissements qu'aient eu à subir les nations dites "républicaines" par leurs gouvernants sont intrinsèquement liés à cette défiance. Les exemples sont légions, de la Chine Communiste de Mao à L'Empire Soviétique Stalinien en passant par L'Italie Mussolinienne et la France Pétainiste, que les Grands de ce monde promulguaient sous leur auspices prétendument au service des leurs un Etat Totalitaire. Plus proche de nous les juntes militaires sud-américaines organiseront un système clanique duquel tout opposant à sa légitimité connaîtra le sort peu enviable de la torture et possiblement de la mort. L'idée n'est pas ici de lister exhaustivement tous les cas recensés, ce ne serait nullement pertinent et l'endroit ne serait pas propice à cela.Il s'agit juste de raviver quelques raisons d’être de la colère grandissante. Car voila bien le coupable désigné à tous nos maux: L'Etat cette entité politique forgée sur l'autel de l’intérêt général apparaît essoufflé, pire manipulé par les pires vices du consumérisme capitaliste. L'appareil Communiste ne préfigurait il pas le profit comme seule ambition lorsqu'il sacralisait le pouvoir de l'argent en expropriant les terres de ses propriétaires pour mieux nourrir la rancœur et sa démagogie? Plus tard L'Amérique triomphante calomniera la justice pour aller batailler sous latitude étrangère en prétextant la libération des vietnamiens et des irakiens (les causes diffèrent mais les conséquences tragiques restent toujours d'actualité).


Elisée Reclus, descendant des Lumières, envisage cette alternative citoyenne comme une réponse plausible et éprouvée à l'encontre d'un dispositif qu'il pense en fin de vie. Il y trouve la un un sentiment semblable à ses illustres collègues de la Pensée, une révolte saine et indispensable pour qui veut se libérer du joug de l'asservissement avilissant. Il assène avec assurance que débarrassé du poids de l'institution officielle, la Raison l'emporterait sur la Passion. Il croit en une bienveillance naturelle qui donnerait à ses semblables l'occasion de prouver la capacité rationnelle qui nous constituent. Fondée sur sa connaissance de peuples autochtones acquise lors de ses nombreux voyages en tant que géographe et physicien, il approuve cette auto-suffisance qui attribue à chaque personne un rôle mouvant. Reclus, la théorie anarchique brave les interdits et consent de bon cœur à ne jamais inférioriser son prochain. Ôtée de ses oripeaux protestantes elle n'est pas affaire d’obédience particulière, elle répond à l’intérêt commun. Elle fait tout autant office D'Archange Protecteur et de Manifeste Social. Elle rétablit l'appropriation du bons sens et s'attribue un geste politique en ce qu'elle définit des règles tacites sans l'inscrire dans un constructivisme figé. C'est la dynamique des mouvements prolétariens qui fabrique la pertinence des idées.


L'emphase et la conviction qu'use l'auteur sont indéniablement réjouissants. Il nous donne à envisager une autre forme de résilience possible, et l'on s'en satisfait pleinement. Il nous laisse rêver à ce que pourrait être la démocratie d’aujourd’hui. Grace lui en soit rendue. Seulement il est permis de douter quelque peu de la faisabilité de cette approche. Non pas qu'elle ne soit pas enviable, bien au contraire. Mais il est des réalités que l'envie (l'utopie?) fracasse sévèrement sur les faits inéluctables. L'auteur de ces lignes se gardera bien de juger s'il faut s'y abandonner ou pas. Séduit pas certaines de ses propositions, il en demeure néanmoins sceptique sur son issue finale. S'il demeure attentif à la résignation actuelle et n'est parfois pas loin de s'y laisser prendre, il est aussi préoccupé par le populisme de plus en plus prégnant. Il demeure incertain quand à la disparition complète d'un régulateur essentialiste, aussi inégale et corrompu soit il. A voir le souverainisme nationaliste gangrener L'Europe et une grande partie du monde, il reste circonspect quand à une prise en main populaire (populiste?) Il sait bien que la République n'est pas une garantie parfaite des droits et libertés, il sent comme beaucoup une réforme nécessaire au rétablissement d'un renouveau, il n'est pas sourd aux revendications égalitaires qui lui apparaissent fondamentales. Mais il se raisonne de la sorte qu'en l'état actuel des choses et concomitamment aux bouleversements idéologiques qui s'annoncent, il semble préférable de rester sous une bannière sinon providentielle à tout le moins rassurante.

Sabri_Collignon
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le 27 juin 2016

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